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L'inflation est-elle "suspecte", comme l'affirme Michel-Edouard Leclerc?

Si certains industriels réalisent des marges copieuses, les hausses de coûts sont réelles et ne sont pas toutes liées à la guerre en Ukraine. Explications.

"La moitié des hausses [de prix] demandées ne sont pas transparentes, elles sont suspectes. J'aimerais bien que les députés […] ouvrent une commission d'enquête sur les origines de l'inflation, sur ce qu'il se passe sur le front des prix."

Ce jeudi sur BFMTV, Michel-Edouard Leclerc en pleine négociation de prix avec les industriels a pris les Français à témoin en jetant le discrédit sur ses fournisseurs. Si les prix augmentent, ce n'est pas de son fait, c'est parce que les industriels profitent de la hausse des coûts de production pour gonfler leurs marges.

Et le patron des centres Leclerc d'étayer cette affirmation en pointant les marges conséquentes de ses fournisseurs ainsi que des entreprises de la logistique.

"Quand vous voyez que tous les fournisseurs arrivent avec des factures de transport en augmentation de 15, 20, 30%, et notamment les prix des conteneurs qui ont augmenté de 30%, et qu'en même temps, vous voyez que les sociétés de transport sortent des bénéfices par milliard l'année dernière, on voit bien que ce n'est pas l'indisponibilité des conteneurs qui a fait que ce qui est rare est cher", estime-t-il.

Depuis la fin de la pandémie, les armateurs réalisent en effet des profits colossaux. Les bénéfices du Français CMA CGM, numéro 3 mondial du secteur ont atteint des sommets historiques au premier trimestre avec 7,2 milliards de dollars engrangés. A tel point que le géant vient de promettre qu'il allait baisser ses tarifs "pour soutenir le pouvoir d'achat des Français".

Il n'empêche que si les prix des conteneurs ont explosé en trois ans (x 7,5 en trois ans) c'est bien à cause d'une pénurie mondiale largement documentée et qui ne devrait pas se résorber avant l'année prochaine.

Les marques de distributeurs flambent

C'est aussi le cas pour la plupart des matières premières qui entrent dans la fabrication des produits de consommation: emballages, papier, pétrole, produits agricoles, intrants... Bouleversées par la crise sanitaire, les chaînes logistiques n'ont toujours pas retrouvé leur efficacité d'avant crise alors que la demande est elle repartie.

La France, très dépendante du commerce mondiale, n'est pas épargnée. D'ailleurs les distributeurs et Michel-Edouard Leclerc le savent. Ce sont leurs produits à marques propres qui ont le plus augmenté depuis un an en rayon.

En juin, selon NielsenIQ, la hausse moyenne des prix était de 4,4% dans les grandes surfaces françaises. Dont +8% pour les marques premiers prix et +5,8% pour les marques de distributeurs. Les marques nationales n'ont elles augmenté que de 3,69% en moyenne. Ce qui est logique, le poids des matières premières est plus important dans ces marques Leclerc, Carrefour et autres Casino.

Pour appuyer son propos, le patron de Leclerc cite aussi l'exemple de produits qui connaîtraient des hausses injustifiées selon lui.

"Quand vous avez des fabricants de produits à base de chocolat cacao qui vous invoquent l'Ukraine pour une augmentation de 15% de tarifs sur de la confiserie, sur des barres chocolatées, je parle de Nestlé, je parle de Mars, il faut quand même pas déconner! On est sur l'autre continent pour le chocolat et le cacao!", s'est moqué le distributeur sur BFMTV.

Pourtant les cours du cacao ont bien enflé en début d'année. Et ce n'est pas lié à la guerre en Ukraine. En décembre dernier, les deux plus gros producteurs mondiaux que sont le Ghana et la Côte d'Ivoire ont suspendu leurs livraisons pour s'assurer un prix de vente plancher de 2600 dollars la tonne afin de mieux rémunérer leurs agriculteurs. Les cours ont flambé de près de 20% jusqu'en février avant de se tasser depuis quelques semaines.

La France plutôt épargnée

Concernant le tournesol, Michel-Edouard Leclerc ironise sur les marques françaises qui se fournissent principalement en France et donc a priori peu concernées par les pénuries ukrainiennes. Sauf que chez nous aussi, les cours du tournesol ont flambé avec la forte demande mondiale et la contraction de la demande. La tonne de tournesol est passée de 600 euros la tonne en octobre dernier à plus de 1000 en avril 2022, soit une envolée de 63% sur le marché de Bordeaux.

Enfin si les prix grimpent dans les grandes surfaces françaises, la hausse est encore plus conséquente. Sur un an, ces prix n'ont augmenté que de 1,9% fin avril selon NielsenIQ alors qu'en Europe, les hausses peuvent atteindre 5,8 voire plus de 10% dans les pays de l'Est. Bref, s'il y a des abus de la part des industriels, ils sont globaux.

A l'étranger, les distributeurs ne répercutent d'ailleurs pas automatiquement toutes les hausses de prix. Au Royaume-Uni, Tesco le "Carrefour britannique" a ainsi annoncé ce jeudi qu'il retirait l'ensemble des produits de la marque américaine Heinz. +40% pour la soupe à la tomate, +11% pour le ketchup. Des hausses abusives selon le distributeur.

"Avec les budgets des ménages sous pression croissante, nous avons maintenant et plus que jamais la responsabilité de garantir les meilleurs prix aux clients, et ne nous répercuterons pas les augmentations de prix injustifiables sur nos clients", a déclaré un porte-parole de l’enseigne.

Plus efficace qu'une enquête parlementaire?

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco