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Un an de guerre en Ukraine: la Russie gagne toujours beaucoup d'argent des hydrocarbures

Un an après son invasion de l'Ukraine, le pays de Vladimir Poutine a vu ses recettes d'exportation de combustibles fossiles chuter sous l'effet notamment des sanctions européennes. Mais ces exportations génèrent toujours plus d'un demi-milliard d'euros... par jour.

La guerre en Ukraine est singulière dans sa propension à gagner le terrain énergétique. Et pour cause, à défaut d'intervention militaire directe, les pays occidentaux ont vite opté pour l'angle d'attaque du "portefeuille" pour répondre à l'agression russe. Parmi les plus gros vendeurs mondiaux d'hydrocarbures, la Russie est particulièrement dépendante des recettes provenant de ses exportations de combustibles fossiles. C'est donc logiquement que ces dernières ont fait office de cible privilégiée avec des résultats conséquents en ce premier "anniversaire" du début du conflit.

D'après le tout dernier rapport du Centre de recherches sur l'énergie et la propreté de l'air (CREA) publié pour l'occasion, la Russie a gagné 560 millions d'euros par jour grâce aux exportations de combustibles fossiles au cours du mois passé. "Il s'agit d'une baisse de 50 % par rapport au pic de 1130 millions d'euros par jour atteint en mars 2022, observe le CREA. Pourtant, les gains de la Russie en janvier-février [2023] jusqu'à l'anniversaire de l'invasion s'élèvent à environ 30 milliards d'euros."

"La dépendance de l'Europe à l'égard des importations de gaz en provenance de Russie, en particulier, a très probablement donné à Poutine un sentiment de sécurité, à savoir que l'Europe n'agirait pas de manière décisive ou unie en réponse à l'invasion de l'Ukraine par la Russie", rappelle Lauri Myllivirta, analyste au sein du CREA.

Renouvellement du carnet de commandes

Les entrées en vigueur des différents embargos européens, sur le charbon russe en août dernier, sur le pétrole brut en décembre et sur les produits pétroliers au début du mois, ne sont pas anodines. Du côté du gaz, c'est Vladimir Poutine lui-même qui a interrompu les approvisionnements: une "décision coûteuse" selon Lauri Myllivirta "car il n'y a pas d'autre acheteur pour le gaz fourni par les gazoducs". "Au cours des 30 derniers jours, les exportations vers l'UE ont diminué de 86 % par rapport au pic de 700 millions d’euros par jour atteint en mars 2022, note le CREA. Pourtant, l'UE envoie encore 100 millions d'euros par jour à la Russie pour les combustibles fossiles."

"La poursuite des importations de gaz de pipeline et de GNL, ainsi que diverses exceptions aux interdictions d'importer du pétrole brut et des produits pétroliers, ont fait que l'UE est restée le deuxième client de la Russie après la Chine, devant l'Inde, après l'entrée en vigueur de l'interdiction des produits pétroliers."

Malgré d'importantes baisses consenties, certains pays asiatiques continuent d'importer plusieurs millions d'euros de combustibles fossiles russes chaque jour comme le Japon, la Corée du Sud où Taïwan qui sont pourtant des alliés de l'Ukraine. Si les achats chinois sont restés stables, la Chine est devenue le premier importateur après les sanctions européennes tandis que l'Inde est quant à elle montée sur le podium des importateurs alors qu'elle n'achetait que très peu de pétrole russe avant l'invasion.

Cette nouvelle année 2023 voit également émerger de nouveaux pays parmi les principaux importateurs de produits pétroliers russes comme la Turquie, les Émirats arabes unis et le Maroc auxquels s'ajoutent de petits acheteurs tels que la Tunisie, le Brésil, l'Egypte et l'Algérie. "Les exportations de produits pétroliers s'effectuent presque exclusivement à partir des ports de la mer Baltique et de la mer Noire et sont très fortement contrôlées par l'industrie européenne du transport maritime, ce qui fait de la révision du plafond des prix des produits pétroliers l'outil clé pour réduire les revenus que la Russie tire de ce commerce", estime le centre de recherches finlandais.

"Les volumes d'exportation se sont déjà rétablis à la suite des interdictions de l'UE, de sorte que le défi de la Russie n'est pas de trouver des acheteurs pour de nouveaux volumes, mais d'augmenter les prix, ou de contourner de nouvelles réductions de prix si la coalition accepte de revoir les plafonds", indique Lauri Myllyvirta.

Des marges qui restent élevées malgré les plafonds

Dans l'état actuel, le prix plafond du brut russe fixé à 60 dollars par baril n'a que peu d'incidence puisque le Kremlin ne concède qu'environ 15 dollars par baril aux producteurs de pétrole et récupère le reste sous forme de taxes. Il y a d'une part la taxe sur l'extraction minérale dont le taux cible était d'environ 37 dollars par baril en 2022 sur la base d'un prix de vente moyen à 62,2 dollars le baril et d’autre part le droit d'exportation fixé à moins de 6 dollars le baril. "Ces taux d'imposition élevés démontrent que les coûts de production du pétrole en Russie sont très bas et qu'aux prix de vente actuels, la grande majorité des recettes des ventes est conservée par l'État sous forme d'impôts", analyse le CREA.

Par ailleurs, ce plafonnement ne s'applique pas au brut sortant des ports à l'Extrême-Orient russe dont le prix du baril dépasse les 70 dollars et qui est majoritairement acheté par la Chine... et transporté par des pétroliers assurés par l'Europe. "Les parts d'assurance et de propriété des cargaisons de combustibles fossiles russes sont beaucoup plus élevées pour les cargaisons partant des ports occidentaux de la Russie que pour les ports de l'Extrême-Orient", souligne le CREA.

"Dans les différentes zones portuaires, l'effet de levier de la coalition pour le plafonnement des prix est fort et présente des arguments solides pour abaisser le plafond des prix afin qu'il se rapproche des coûts de production du pétrole en Russie et de priver le Kremlin de revenus."

Concernant le gaz, la Russie a profité des niveaux de prix record atteint l'année dernière. Ses exportations vers l'UE ont généré autant de recettes au second semestre 2022 que les années précédentes alors que les volumes étaient quatre à cinq fois inférieurs à ceux pratiqués avant l'invasion de l'Ukraine.

Une inversion de tendance en 2023?

En 2021, le budget fédéral de la Russie s'élevait à 343 milliards de dollars les taxes sur l'extraction et la vente de gaz et surtout de pétrole comptant pour 37% (127 milliards de dollars) de celui-ci. L'année dernière, les recettes du budget fédéral sont estimées à 358 milliards de dollars avec un poids accru des taxes sur l'extraction et la vente de pétrole et de gaz qui représentaient une part record de 46% (166 milliards de dollars). Cette hausse s'explique notamment par la période janvier mai durant laquelle le prix moyen du baril de Brent s'est établi à 104 dollars, permettant aux recettes issues de la taxation de presque doubler par rapport à la même période en 2021.

"La Russie est extrêmement dépendante de ces recettes fiscales maintenant que toutes les autres sources de revenus de l'État russe ont chuté et que les dépenses ont augmenté en raison de l'effort de guerre", insiste Lauri Myllivirta.

Mais le CREA relève que les sanctions introduites en décembre et après cette date ont considérablement réduit les revenus des exportations de combustibles fossiles de la Russie. En janvier 2023, les revenus provenant des taxes sur le pétrole et le gaz ont chuté de 54% par rapport à décembre 2022 et de 46% par rapport à janvier 2022. Sur le mois dernier, la production de pétrole et de produits pétroliers est restée constante, légèrement en dessous des 11 millions de barils quotidiens. Selon le centre de recherches finlandais, "il est fort probable que la baisse des recettes s'explique par l'accentuation des remises auxquelles les acheteurs consentants acceptent d'acheter du brut et des produits pétroliers russes."

"Dans ce contexte, la réduction annoncée d'environ 5 % de la production russe de pétrole en mars, soit l'équivalent de 0,5 million de barils par jour, est la preuve que la Russie n'est pas en mesure de trouver suffisamment d'acheteurs pour son pétrole brut et ses produits pétroliers."

L'analyse Lauri Myllivirta rappelle que la situation budgétaire russe devrait se dégrader en 2023, d'où la révision de la taxation des exportations de pétrole prévue par le ministère des Finances et "qui pourrait rendre non rentable pour les exportateurs de pétrole la vente à des prix inférieurs au plafond."

Des sanctions à accentuer pour tailler les recettes russes de 40%

Le Centre de recherches sur l'énergie et la propreté de l'air formule plusieurs propositions pour renforcer et élargir le panel de sanctions prises par les pays occidentaux et qui pourraient réduire "les revenus quotidiens de la Russie de 40 % supplémentaires par rapport au niveau actuel." Le CREA avance notamment la baisse du prix plafond à 30 dollars le baril pour le pétrole brut, ce qui priverait le pays de 150 millions de dollars chaque jour. Il évoque l'interdiction des importations européennes de pétrole et de gaz par oléoducs ainsi que celle de gaz naturel liquéfié qui augmenteraient les pertes quotidiennes de 90 millions d'euros.

"Les prix bas et les sanctions en matière de technologie et d'investissement dégraderont la capacité du pays à développer de nouveaux gisements et de nouvelles infrastructures, ce qui signifie que la production de combustibles fossiles de la Russie entrera dans une phase d'instabilité à long terme", prévoit Lauri Myllyvirta.

Le CREA plaide aussi pour un renforcement de la surveillance et de l'application des règles à travers l'interdiction permanente aux pétroliers ne respectant pas les plafonnements de prix d'entrer dans les ports et eaux territoriales de l'UE et du G7 tout comme le transbordement de pétrole russe dans ces eaux et les ZEE des pays concernés. Selon le centre de recherches finlandais, il faudrait d'ailleurs restreindre les ventes de vieux pétroliers que la Russie pourrait utiliser pour contourner le plafond. Il souhaite également la mise en place d'"une autorité dédiée à la surveillance et à l'application des sanctions pétrolières russes qui effectue des audits réguliers mensuels et extraordinaires sur les attestations et autres documents requis". Enfin, il serait nécessaire de "s'attaquer au mélange de pétrole pour s'assurer que le pétrole commercialisé n'est pas en partie russe" grâce à des analyses de laboratoire permettant de vérifier son origine.

Timothée Talbi