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La cheffe économiste du FMI s'alarme du "risque d'instabilité" avec le creusement des inégalités

Gita Gopinath, économiste en chef du FMI, lors d'une conférence de presse le 15 octobre 2019 à Washington, DC.

Gita Gopinath, économiste en chef du FMI, lors d'une conférence de presse le 15 octobre 2019 à Washington, DC. - Olivier Douliery © 2019 AFP

Invitée sur BFM Business, la cheffe économiste du FMI, Gita Gopinath, ne voit pas l'inflation remonter à court terme et estime que le niveau de dettes des Etats va se stabiliser avant de diminuer. En revanche, elle s'inquiète de la montée des inégalités.

Pandémie, croissance, protectionnisme... La cheffe économiste du Fonds monétaire international (FMI), Gita Gopinath, a répondu aux questions de BFM Business.

BFM Business : Concernant les prévisions de croissance mondiale pour 2021, vous êtes plus optimistes aujourd'hui que vous ne l'étiez en octobre. Ne sous-estimez-vous pas l'impact de la troisième vague de la pandémie et les difficultés des fabricants de vaccins à répondre à la demande?

Gina Gopinath : Nous avons en effet relevé notre prévision de 0,3 point pour la croissance mondiale cette année (le FMI anticipe désormais une croissance mondiale de 5,5% en 2021 et de 4,2% en 2022, NDLR). Cela reflète les bonnes nouvelles que nous avons eues entre octobre et le début de l'année au sujet des vaccins et des plans de relance, aux Etats-Unis et au Japon notamment. Mais elles sont contrebalancées par les restrictions sanitaires mises en place pour contenir la propagation des nouveaux variants, et on s'inquiète aussi des risques de ralentissement de la vaccination… S'ils se confirment, la croissance pourrait être inférieure de 3 ou 4 points. Donc, oui, ça nous inquiète.

Pour l'Europe, et pour la France (5,5% en 2021), vous êtes également plus optimiste que les autres économistes. Encore une fois, qu'est-ce qui explique cette relative confiance?

Si on compare avec les autres grands instituts – Banque mondiale, OCDE – notre prévision est en effet plus optimiste. Mais c'est parce que les autres n'ont pas, contrairement à nous, pris en compte les plans de sauvetage, et cela fait une grosse différence. Pour la zone euro, nous avons révisé à la baisse notre précédente prévision. Les restrictions sanitaires pèsent sur l'activité mais rien de comparable avec la première vague au printemps: on voit la mobilité diminuer, mais on s'est adaptés à vivre avec la distanciation sociale.

Vous dites aux Français: restez optimistes?

Il y a une incertitude exceptionnelle, et il y a encore beaucoup à faire encore sur le front du soutien économique.

L'économie chinoise semble s'être remise de la pandémie et vous vous attendez à ce que l'économie chinoise soit en hausse de 17% l'an prochain par rapport à son niveau d'avant-crise. La crise a-t-elle rendu la Chine plus forte?

Si vous regardez la croissance chinoise cumulée entre cette année et l'année prochaine, la Chine fait en effet mieux que les autres économies dans le monde, et a retrouvé ses niveaux d'avant-crise. Ce qu'elle a particulièrement réussi, c'est son confinement. Elle a aussi profité des mesures de soutien prises par ses partenaires commerciaux et ses exportations sont un élément important de son rebond. Mais on devrait voir cette année les aides publiques diminuer et la consommation des ménages devrait être moins forte. On verra dans quelle mesure cela va peser sur la demande et la croissance.

La tectonique des plaques a changé avec la pandémie… L'Asie sera-t-elle plus forte à l'avenir?

En Asie, c'est mitigé. Il y a des divergences. Par exemple, à la fin 2022, la croissance chinoise devrait être inférieure de 1,5% par rapport à ses niveaux d'avant-crise. Si on prend les économies asiatiques émergentes sans la Chine, ce chiffre est inférieur de 9% ! En Inde, l'économie a été très frappée aussi, et d'autres pays sont loin d'avoir éradiqué le virus. Cette zone a fait mieux que le reste du monde, mais la reprise est très variable selon les pays.

L'élection de Joe Biden et la majorité démocrate au Congrès américain ont-elles affecté vos prévisions pour les États-Unis? Quel sera selon vous l'impact du plan de relance massif préparé par le nouveau président américain?

À ce stade, non cela n'a pas eu d'impact sur notre prévision. Les propositions de ce plan ont déjà été prises en compte, mais ce plan pourrait apporter 5% de croissance supplémentaire sur trois ans, selon une estimation très préliminaire.

Vous avez probablement entendu le discours de Joe Biden mardi demandant au gouvernement fédéral d'acheter davantage de produits américains. Cette mesure protectionniste aura-t-elle un impact sur l'économie mondiale?

On comprend que tous les pays essayent de trouver des solutions au chômage, mais pour améliorer la situation de l'emploi il faut plutôt, selon nous, des conditions d'échanges équitables, des liens commerciaux forts avec le reste du monde. Alors, certes, il y a des problèmes à régler, il faut réformer l'OMC (l'Organisation mondiale du commerce, NDLR), mais faciliter le commerce international, c'est ça la solution et nous espérons que c'est dans cette direction que va le monde.

Le nombre de faillites a considérablement diminué pendant la crise, par rapport à la crise précédente (en particulier en 2007-2008). Le pire est-il à venir? Allons-nous faire face à une cascade de faillites?

On assiste à une crise vraiment inédite avec toutes les restrictions sanitaires. Mais c'est vrai que, bizarrement, le nombre global de faillites dans les économies avancées a baissé par rapport à ce qu'il était avant la pandémie… Mais ce nombre va augmenter au fur et à mesure que les gouvernements vont réduire les aides. Les Etats doivent se préparer et s'assurer de mettre rapidement en place des mécanismes qui éviteront des pertes massives d'emplois et un choc trop brutal sur le système bancaire.

Les gouvernements ont considérablement augmenté le niveau de la dette publique et les banques centrales ont acheté d'énormes quantités de dettes. Le FMI s'inquiète-t-il de la capacité des gouvernements à rembourser la dette et des banques centrales à faire face à l'énorme quantité de liquidités? Cela met-il en danger le système financier mondial et la zone euro?

La pandémie a rendu nécessaires des aides substantielles et la dette a grimpé à des niveaux records, mais les taux d'intérêt sont bas et devraient le rester, la croissance est de retour... Pour de nombreux pays, le niveau de dette va se stabiliser avant de diminuer. Les Etats devront retirer les perfusions une fois la crise passée et s'assurer sur le plus long terme que leur santé fiscale est bonne. Concernant les banques centrales, elles doivent soutenir la reprise mais être aussi conscientes de l'augmentation des risques financiers.

Selon vous, l'inflation sera-t-elle de retour à l'avenir en raison de cette énorme quantité de liquidités?

Si vous regarder les économies avancées et la zone euro, l'inquiétude aujourd'hui porte plutôt sur un trop peu d'inflation. La question est: que se passera-t-il ensuite? On voit des économies qui stagnent, un emploi chancelant, du chômage partiel. A priori on ne devrait pas voir surgir de trop gros risques inflationnistes.

Dans quelle mesure vos prévisions dépendent-elles de la poursuite de politiques monétaires très accommodantes dans le monde? Selon vous, quelle est la probabilité que les taux d'intérêt augmentent au cours des prochains mois et quel en serait l'impact?

Il y a peu de chance que les taux d'intérêt des économies avancés remontent dans les prochains mois. Bien sûr, les banques centrales vont surveiller ce qu'il se passe, mais même si l'inflation fait son retour de manière transitoire, elle ne remontera pas de manière durable à court terme. Le problème des banques centrales est plutôt de faire remonter l'inflation dans le cas où les Etats-Unis remontent leurs taux même modérément.

Êtes-vous préoccupé par la pauvreté et les inégalités croissantes dans le monde et au sein des pays?

Oui, c'est le principal message de notre rapport: 150 pays vont afficher cette année un revenu par tête en baisse par rapport à 2019... Un nombre qui va progressivement redescendre à 110. Dans certains pays, les femmes, les jeunes, et les travailleurs les moins qualifiés sont particulièrement frappés. Et quand la reprise sera là, les Etats devront s'atteler à la redistribution des richesses et s'assurer que tout le monde profite de cette reprise.

Craignez-vous des instabilités?

La pauvreté était déjà un problème avant la pandémie, et si les gouvernements ne se soucient pas de leurs populations les plus vulnérables, c'est un risque d'instabilité.

Propos recueillis par Christophe Jakubyszyn

Christophe Jakubyszyn, édité par J. Br.