BFM Business
International

Comment la livre turque s'est totalement effondrée (et continue de creuser)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 16 octobre 2021 à Istanbul

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 16 octobre 2021 à Istanbul - Ozan KOSE © 2019 AFP

L'entêtement du président Erdogan à baisser les taux directeurs n'a fait qu'amplifier l'inflation galopante qui touche le pays et affaiblir une devise encore solide il y a quelques années. La colère gronde en Turquie. 

Après près de 20 ans au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan s'est lancé dans pari dangereux. En perte de vitesse dans les sondages, le tout-puissant président turc fait face à une crise économique d'ampleur dont il est devenu finalement un acteur de premier plan.  

Quand la France affichait une inflation de 2,8% sur un an en novembre, la Turquie annonçait une inflation de 21,3%! Et encore, l'opposition accuse ouvertement l’Office national des statistiques de minorer largement la hausse des prix. 

Un autre indice montre l'étendue de la catastrophe économique: le plongeon sans fin de la livre turque. Il y encore quelques années, un euro s'échangeait contre 5 livres. Aujourd'hui, il s'échange contre près de 18 livres. Le décrochage est total depuis la fin du mois de novembre et en grande partie lié avec l'action de la banque centrale.  

Sur ce point, Erdogan a pris les choses en main en intimant une baisse des taux à l'institution dont il a limogé déjà trois gouverneurs depuis 2019. En réalité, le long déclin de la monnaie nationale dure depuis 10 ans et c'est la stratégie choisie pour y répondre qui interroge. 

Pensée orthodoxe

Traditionnellement, une forte inflation peut être endiguée par une hausse des taux directeurs. L'idée est de limiter les liquidités en réduisant les emprunts, plus coûteux. Dès lors, la masse monétaire en circulation diminue et freine l'inflation. C'est d'ailleurs ce qu'envisagent les Etats-Unis en 2022 pour éviter que les prix à la consommation ne dérapent. 

Mais en Turquie, la banque centrale a décidé de baisser, une nouvelle fois ce jeudi, les taux directeurs, sous la pression du président Erdogan qui estime qu'une hausse aggraverait l'inflation. Cette décision a pourtant fait plonger un peu plus la devise turque pour atteindre un nouveau seuil record. 

"D’après le gouvernement turc, une augmentation des taux d’intérêt implique une hausse des charges financières payées par les entreprises" résumait dans une récente note Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. "C’est donc une augmentation des coûts des entreprises, qui les conduit à augmenter leurs prix de vente."

Pour les autorités turques, baisser les taux ferait baisser les coûts des entreprises et donc les inciterait à baisser leurs prix. Ce n'est visiblement pas le cas, pour l'instant.

Factuellement, la chute de la livre turque apporte en effet de la compétitivité pour les exportations turques et permet d'afficher une croissance du PIB insolente: +7,4% sur un an au troisième trimestre. Revers de la médaille, les importations deviennent hors de prix, notamment l'énergie et les matières premières. 

Salaire minimum augmenté de 50%

Des images, abondamment relayées et commentées ces derniers jours montrent d’interminables files d’attente devant des dépôts de pain gérés par les municipalités d'opposition d'Ankara et d'Istanbul: le pain de 250 grammes y est vendu 1,25 livre (environ 7 centimes), deux fois moins que dans la plupart des boulangeries. Cette différence de quelques centimes d’euros par pain est devenue cruciale pour de nombreux Turcs, alors que des produits de base comme l’huile de tournesol ont vu leur prix grimper de 50% sur un an. 

Dans ce contexte politiquement explosif, le président Erdogan a annoncé jeudi, dans une déclaration retransmise en direct à la télévision, le relèvement du salaire minimum au 1er janvier 2022 de 2.825,90 (soit environ 160 euros) à 4.250 livres (environ 240 euros), soit une hausse de 50%. Une décision qui risque d'alimenter encore un peu plus les pressions inflationnistes. 

Thomas Leroy avec AFP