BFM Business
Economie

Huile, élevage, biocarburant… la guerre en Ukraine perturbe le tournesol

Un champ de tournesol près de Rieumajou (Haute-Garonne), en juillet 2018.

Un champ de tournesol près de Rieumajou (Haute-Garonne), en juillet 2018. - ERIC CABANIS / AFP

Le marché du tournesol est chahuté par la guerre en Ukraine, qui représente la moitié des exportations mondiales d'huile de tournesol.

La guerre en Ukraine menace le marché du tournesol. Les terres ukrainiennes produisent 15 millions de tonnes de graines chaque année, bien plus que toute l'Europe et ses 10 millions de tonnes: le pays représente 50% des exportations mondiales d'huile de tournesol. Mais, face à l'invasion russe, les autorités ont introduit des quotas pour limiter les exportations de certains produits, dont l'huile de tournesol. À quoi il faut ajouter les difficultés logistiques et le gel du trafic maritime dans la Mer noire.

Or, la grande distribution écoule pas moins de 120 millions de litres chaque année en France, selon des données recueillies par le panéliste Nielsen. De quoi craindre des pénuries? De l'autre côté des Pyrénées, des supermarchés espagnols ont rationné la vente pour éviter que les consommateurs ne se ruent sur les bouteilles pour faire des stocks. L'huile de tournesol ne manquera pas dans les magasins à court terme, mais des problèmes d'approvisionnement pourraient survenir si la crise perdure en Ukraine.

Dans ce supermarché espagnol, la vente d'huile de tournesol est limitée à une bouteille par client et par jour - Mars 2022
Dans ce supermarché espagnol, la vente d'huile de tournesol est limitée à une bouteille par client et par jour - Mars 2022 © Ivan Valerio

Le géant français Avril, propriétaire des marques Lesieur, Isio 4 ou Fruit d'Or, assure qu'il n'y a aucun risque pour ses propres produits, issus de graines françaises. La question se pose pour les marques de distributeurs et les produits destinés à la restauration, qu'il produit aussi, car l'huile qui les compose est souvent importée.

"Nous cherchons des solutions de remplacement avec des graines françaises, mais il y a une limite dans les disponibilités", explique l'entreprise.

Alimentation animale

Pour assurer la continuité de l'approvisionnement, le groupe Avril va aussi dérouter sa production d'huile de tournesol destinée… aux biocarburants. Car l'huile de tournesol n'est pas uniquement alimentaire: elle entre aussi en compte dans la fabrication du biodiesel. Sa filiale Saipol reporte désormais toute sa production d'huile de tournesol vers les huiles alimentaires, et se repose sur le colza pour les biocarburants - le colza est déjà majoritairement utilisé pour fabriquer ces biocarburants.

En dehors des supermarchés, le tournesol nourrit aussi les vaches. Une fois que l'huile a été extraite des graines, on obtient des résidus, appelés tourteaux. Ils sont utilisés pour nourrir les animaux, notamment les ruminants dans le cas du tournesol. Les difficultés d'approvisionnement en tourteaux et surtout la flambée des prix risquent d'être un poids supplémentaire sur le dos des éleveurs, déjà écrasés par l'explosion des coûts des intrants et de l'alimentation animale de manière générale.

Et il n'y a pas vraiment d'alternatives au tournesol. Dans l'industrie agroalimentaire, où elle entre dans la composition d'un grand nombre de produits comme les chips, les sauces ou les mayonnaises, il est difficile de substituer l'huile de tournesol par l'huile de palme ou de colza, aux caractéristiques différentes. Restent des solutions marginales comme la modification de la composition des mélanges d'huiles, pour la friture par exemple, afin de réduire la part du tournesol.

Vers une hausse des prix?

Difficile aussi d'augmenter les surfaces cultivées en France, car les semis s'apprêtent à commencer et les semences ont déjà été commandées, ou de se tourner vers les importations d'autres pays, comme l'Argentine. En conséquence, une hausse des prix n'est pas à exclure en bout de chaîne, dans les rayons des supermarchés. Les cours mondiaux du tournesol se sont envolés après l'invasion russe de l'Ukraine, et les huiles de colza, de palme et de soja ont suivi le même chemin que le tournesol.

"C'est l'accumulation des coûts qui pourrait faire augmenter les prix: ce n'est pas seulement le tournesol qui explose, ce sont aussi toutes les matières premières, ainsi que l'énergie ou les transports", souligne Arthur Portier, consultant chez Agritel. Mais "ce n'est pas pour tout de suite", car "il y a encore beaucoup d'incertitudes" et on ne sait pas ce qu'il adviendra du marché dans les mois à venir, ajoute-t-il.

Du côté de l'Ukraine, les regards se tournent vers les semis dans les prochaines semaines. Les agriculteurs ukrainiens peinent à obtenir les semences nécessaires, à se fournir en fioul pour faire tourner les machines, et la main d'œuvre manque dans les champs en raison du conflit. La récolte attendue en septembre prochain pourrait être bien moindre que les années précédentes. Il n'est pas sûr non plus que l'Ukraine puisse récolter ses tournesols, ni même les exporter.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV