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Éviter que les ZFE deviennent de futures "Zone de Forte Exclusion"

Image d'illustration - Une vignette Crit'Air sur le pare-brise d'un véhicule le 13 décembre 2016 à Grenoble

Image d'illustration - Une vignette Crit'Air sur le pare-brise d'un véhicule le 13 décembre 2016 à Grenoble - JEAN-PIERRE CLATOT, AFP/Archives

[AVIS D'EXPERT] L’interdiction des véhicules Crit’Air 5, 4, 3 et même 2 des Zones à Faibles Émissions (ZFE), pourrait s’avérer un drame social. Les Français sont-ils condamnés à choisir entre la fin du mois et la fin du monde (lutte contre le réchauffement climatique)?

Les conséquences des ZFE (Zones à Faibles Emissions) restent aujourd'hui méconnues par les Français. Avec 43 ZFE instaurées, au plus tard fin 2024, tous les automobilistes français sont concernés, et pas les seuls habitants de ces agglomérations… Selon les statistiques du Ministère de la Transition Ecologique, 40% du parc automobile existant (Crit’Air 5, 4 et 3) serait interdit de circulation! Malgré cette perspective, il y a eu presque autant de véhicules neufs vendus que de véhicules d’occasion Crit’Air 5, 4 et 3, en 2021.

Plus rapide, la métropole du Grand Paris voulait bannir les Crit’Air 3, en juillet 2022, puis les véhicules Crit’Air 2, au 1er janvier 2024. Dès lors, tous les véhicules diesel, même récents, et les véhicules essence (immatriculés avant 2010) seraient interdits de la ZFE du Grand Paris… soit 3,8 millions de véhicules pour la seule région Ile-de-France. Dans la logique des ZFE, ces véhicules devraient rejoindre les casses automobiles pour ne plus circuler dans notre pays…

Le 1er février, la métropole du Grand Paris a annoncé repousser à "début 2023" l’interdiction des Crit’Air 3. Cette décision montre la difficulté d’instaurer des mesures aussi drastiques, et brouille un peu plus la compréhension des ZFE pour les Franciliens. Car les Français méconnaissent les conséquences des ZFE et leurs impacts sur leur quotidien. Un observatoire des ZFE devrait être mis en place avec des personnalités du monde automobile, des associations représentatives des automobilistes et les pouvoirs publics, avec des parlementaires et des élus des agglomérations. Il permettrait d’expliquer les enjeux des ZFE, d’enquêter sur leur impact et d’étudier des assouplissements au cadre légal pour éviter des drames sociaux.

Revoir les critères des ZFE pour les rendre socialement acceptable

La directive européenne sur les ZFE est appliquée différemment, selon les pays. Dans le cas de notre voisin italien, le parc automobile et la population sont très proches de la France. Depuis de nombreuses années, l’Italie a introduit les ZFE, dans plus de villes qu’en France. Toutefois, les restrictions ne sont pas les mêmes.

Tout d’abord, les ZFE italiennes interdisent les véhicules de plus de 25 ans alors qu’en France, Crit’Air 3 concerne les véhicules diesel, immatriculés avant 2010. Ensuite, les autorités italiennes ont pris en considération des problématiques de revenus, de localisation, d’âge et d’utilisation du véhicule. Par exemple, les maires italiens peuvent moduler l'interdiction aux voitures avec des conducteurs de plus de 65 ans ou utilisées par les personnes à mobilité réduite. Il est donc possible d’apporter de la flexibilité dans l’application des ZFE, tout en réduisant les émissions de CO2 et de particules fines.

En France, 44 sénateurs ont proposé un amendement à la Loi Climat et Résilience, basé sur le principe de l’Éco Entretien. Avec un entretien correct et vérifié de leurs véhicules, les automobilistes bénéficient d’une dérogation de circulation dans les zones à faible émissions. Cette proposition n’a malheureusement pas été suivie… Pourtant, l’Éco Entretien du parc roulant français permettrait, annuellement, de réduire les rejets de près d’un million de tonnes de CO2! Pour rendre cette proposition acceptable par la majorité de la représentation nationale, elle pourrait se limiter à certaines catégories Crit’Air. De cette manière, les véhicules les plus polluants seraient interdits, et les véhicules plus récents, pourraient continuer de circuler librement, à condition d’un Eco Entretien annuel.

Enfin, durant la prochaine décennie, les 43 agglomérations pourraient développer les transports publics de nouvelle génération avec des navettes autonomes, des "robomobiles", sur les voies dédiées des "Bus à Haut Niveau de Service" et dans les centres-villes limités à 30 km/h. Les robomobiles pourraient aussi irriguer les périphéries des villes, souvent délaissées, par les transports publics traditionnels et plus couteux. L’innovation change la donne.

En conclusion, l’instauration des ZFE s’ajoute à une hausse durable des prix des énergies. Des millions de Français ne pourraient pas changer de véhicule… ils seraient alors exclus des agglomérations ou assujettis à une amende de 68 euros, pour chaque infraction. La transition écologique ne peut se faire sans les Français. Sans évolution du cadre réglementaire des ZFE, il risque d'être nombreux à rejoindre les ronds-points.

Franck Cazenave, auteur du livre La robomobile – Un nouveau droit à la mobilité durable et solidaire, Descartes & Cie