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TER et Intercités: pourquoi le Pass Rail est-il enterré?

Ce jeudi, Patrice Vergriete, le nouveau ministre des Transports, a indiqué qu'il penchait pour "une expérimentation d'un Pass Rail ciblé sur les jeunes et sur la période estivale sur les réseaux TER et Intercités". Un renoncement pragmatique?

C'était pourtant une des mesures chocs de Clément Beaune, l'ex-ministre des Transports, mesure soutenue par l'Elysée. S'inspirant de ce qui est fait en Allemagne, celui qui est aujourd'hui simple député avait promis à maintes reprises l'instauration en France d'un Pass Rail pour tous, toute l'année.

Doze d'économie : Le "Pass Rail", la bonne idée mal engagée ? - 06/09
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L'idée, permettra de prendre en illimité les TER et Intercités partout en France, avec un forfait mensuel unique, facturé autour de 49 euros par mois et ainsi développer encore plus l'usage du train.

Clément Beaune assurait que des négociations avaient lieu avec les régions et avait répété (encore en décembre dernier) que ce Pass serait disponible "d'ici à l'été prochain".

Aujourd'hui, ce projet est enterré sans tambours ni trompettes par son successeur Patrice Vergriete. Lors des questions au gouvernement au Sénat ce jeudi, le ministre a acté le décès.

"Il faut cesser d'avoir des bonnes idées avec l'argent des autres"

"Ce que j'imagine proposer pourrait être une expérimentation d'un Pass Rail ciblé sur les jeunes et sur la période estivale sur les réseaux TER et intercités. Il s'agirait en quelque sorte d'une tarification sociale pour les jeunes, pour leur permettre de découvrir l'ensemble des régions de notre beau pays", explique-t-il.

Et de tacler l'idée même de Clément Beaune: "Je l'avais dit à l'époque, il faut cesser d'avoir des bonnes idées avec l'argent des autres".

"Où est passée l'ambition initiale d'un Pass Rail pour tout le temps et pour tout le monde? L'État ne veut finalement plus rien financer?", a réagi Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France.

Si l'idée peut paraître séduisante sur le papier, l'instauration d'un tel pass pour tous et tout le temps est extrêmement coûteuse et complexe. Explications.

Un manque à gagner trop important pour les régions

Essentiellement supporté par les régions qui sont les autorités organisatrices des TER (et qui financent donc ces lignes), ce pass aurait mis encore plus à mal leurs finances déjà très tendues puisqu'une partie des recettes disparaîtrait. En Allemagne au contraire, le coût (3 milliards d'euros par an) est supporté à 50% par l'Etat.

"C’est une très bonne idée. Mais pour moi c'est trop tôt. Sans aide de l'État, le pass représenterait un manque à gagner de 200 millions d'euros pour l'ensemble des conseils régionaux, plus 950 millions pour l'île de France. Pouvons-nous vraiment nous passer de ces recettes de billetterie", a ainsi souligné Patrice Vergiete. Dans un contexte d'économies généralisées, un tel manque à gagner pourrait faire mal.

D'autant plus que les régions doivent cette année (mais aussi les suivantes) supporter une hausse substantielle des péages ferroviaires versés à SNCF Réseau pour avoir le droit de faire rouler les TER (8% en moyenne).

À titre d'exemple, en Nouvelle-Aquitaine, l'horaire de service pour 2024 prévoit "une augmentation de 5,3% pour la redevance d'utilisation de l'infrastructure ferroviaire, soit une charge supplémentaire de 11 millions d'euros", a indiqué son conseil Aurélien Burel à L'Informé. La région verrait ensuite l'inflation des péages ferroviaires "se poursuivre en 2025 avec une augmentation de 4,3% et encore en 2026 avec 3%", selon Aurélien Burel.

Rappelons que ces hausses ont d'ailleurs été contestées par huit régions devant le Conseil d'Etat qui leur a donné raison.

TER: un mille-feuille hermétique en France

Deuxième frein, la complexité de la mise en oeuvre. Etant donné que chaque région gère ses TER de manière indépendante (horaires, tarifications, abonnements...), le réseau régional apparaît comme un mille-feuille assez hermétique. Il est ainsi très difficile de parvenir à une approche unique et homogène à travers un pass applicable sur tout le territoire. D'autant plus que les régions sont très attachées à leur liberté tarifaire.

Or, en Autriche ou en Allemagne où ces forfaits ont été lancés il y a plus d'un an, "il y a un maillage très fin, une vraie cohérence à tous les niveaux entre les acteurs, les opérateurs, les autorités", nous expliquait Bruno Gazeau, président de la Fnaut, la fédération nationale des associations des usagers des transports.

"Les régions qui exploitent les TER appliquent leurs tarifs, leurs investissements sans vraiment parler avec leurs voisines" poursuit-il. "Il y a des cartes partout, au niveau national, régional...il faudrait de la cohérence et ce n'est pas le cas".

Dans le même temps, une telle offre génère mécaniquement un bond de l'usage comme en Allemagne. Mais comment le supporter avec une infrastructure vieillissante et un nombre limité de trains? Le risque: observer des engorgements, des pannes multiples, des trains bondés, bref, une dégradation forte du service.

Un risque de dégradation de l'offre

Franck Dhersin, sénateur du Nord (UC) estime d'ailleurs qu'il manquerait au moins douze rames de TER pour gérer l'affluence suscitée par le pass. Soit un investissement impossible à supporter aujourd'hui, surtout avec des recettes en baisse.

Le réseau, les rames, mais pas seulement. Car la hausse de la fréquentation a des conséquences indirectes: il faut augmenter les places de parking autour des gares, renforcer la maintenance, le service-client... Autant de coûts supplémentaires.

Enfin, certaines régions n'ont pas attendu l'impulsion de l'Etat pour lancer des offres forfaitaires, avec succès. L'Occitanie est pionnière en la matière avec par exemple l'opération train à 1 euro tous les premiers weekends du mois, (1,1 million de billets vendus depuis décembre 2022) ou encore la gratuité pour les 12-26 ans.

En 2023, ses trains régionaux liO ont enregistré une augmentation de fréquentation de près de 52% par rapport à 2019.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business