BFM Business
Entreprises

Stellantis: les rémunérations de Carlos Tavares et John Elkann sous le feu des critiques

Le constructeur automobile tient son assemblée générale mardi. Cette année encore, elle sera mouvementée. Les rémunérations du directeur général et du président de l’entreprise sont vivement critiquées par trois sociétés de conseil aux actionnaires, qui recommandent de voter contre.

Jusqu’à 36,5 millions d’euros sur la seule année 2023. C’est trop, beaucoup trop estiment trois sociétés de conseils aux actionnaires. La rémunération de Carlos Tavares est presque sept fois plus importante que le salaire médian de ses pairs européens, estime l'une de ces sociétés, ISS. Elle est aussi "élevée" par rapport à ses concurrents américains, Ford ou General Motors, selon l’agence de conseil.

C’est pourtant l’argument phare de Stellantis pour défendre le salaire de son directeur général. L’entreprise aime à rappeler en effet qu’elle réalise 53% de ses profits outre-Atlantique, et 75% hors d’Europe.

Les Experts : Tavares, des critiques contre sa rémunération - 08/04
Les Experts : Tavares, des critiques contre sa rémunération - 08/04
26:41

Proxinvest, qui recommande également de voter contre le salaire du dirigeant, va plus loin.

"Une telle rémunération pourrait traduire une emprise de Carlos Tavares sur son conseil d’administration," estime Charles Pinel.

Le directeur général de la société française de conseil aux actionnaires assure encore que "le taux d’indépendance du conseil de Stellantis est faible".

Une gouvernance déséquilibrée

Le constat est le même chez Phitrust, gestionnaire spécialisé en investissement durable. "Si Carlos Tavares se paye autant, c’est que son conseil d’administration le lui permet", abonde Denis Branche, cofondateur, avant d’ajouter:

"L’idée, c’est de le retenir à tout prix, mais n’y a-t-il pas d’autres personnes compétentes?"

Proxinvest s’inquiète ainsi de ce qu’on pourrait appeler une "Tavares dépendance" chez Stellantis. "Une entreprise qui repose sur un seul homme, c’est très malsain. C’est l’inverse d’une gouvernance équilibrée", développe Charles Pinel.

La coquette rémunération de John Elkann

Beaucoup s’interrogent également sur la répartition des rôles entre Carlos Tavares et John Elkann, héritier de la famille Agnelli, aujourd’hui président exécutif du constructeur automobile. Le salaire du dirigeant italien s’élève à 4,8 millions d’euros en 2023. "Quand vous avez un directeur général, vous devez avoir un président non-exécutif et ne pas le rémunérer autant", insiste Denis Branche, cofondateur de Phitrust. Jean-Dominique Senard, président (non-exécutif) de Renault n'est payé que 450 000 euros, rappelle le fonds.

Jean-Dominique Senard, président de Renault Group - 07/12
Jean-Dominique Senard, président de Renault Group - 07/12
13:41

En plus de sa coquette rémunération, John Elkann bénéficie d’autres avantages. Stellantis débourse ainsi plus de 400.000 euros par an pour assurer son transport en avion privé. "Tout cela, c’est un montage de la famille Agnelli, fondatrice de Fiat et principal actionnaire de l’entreprise", glisse un connaisseur du dossier.

"Les Agnelli ont dit: 'Tu donnes un statut d’exécutif au petit fiston, comme ça il peut toucher une grosse rémunération'", ajoute -t-il.

Phitrust s’agace aussi que les rémunérations des deux dirigeants soient votées dans la même résolution. Le gestionnaire a écrit à Stellantis pour y remédier mais le constructeur s’y refuse.

A ces critiques s’ajoutent enfin celle de l’agence de conseil aux actionnaires Glass Lewis, qui elle aussi, recommande de voter contre les rémunérations des deux dirigeants. La société évoque un "risque réputationnel pour Stellantis" qui verse des salaires élevés à son président et son directeur général, tout en licenciant des salariés aux Etats-Unis et réduisant ses effectifs en Italie.

Une rémunération "pas acceptable" pour les salariés

Un reproche balayé par l’entreprise. "Notre industrie est en pleine mutation, explique-t-on dans l’entourage de Carlos Tavares. Nous sommes obligés de nous adapter". Des arguments sans doute un peu difficiles à entendre pour les salariés de Stellantis. La plupart ne digèrent pas le salaire de leur patron.

"Ce n'est pas audible, pas entendable, pas acceptable", s'agace Frédéric Lemayitch, délégué syndical central CFTC.

Carlos Tavares est attendu ce lundi dans l’usine du constructeur à Trémery, à côté de Metz. Il doit notamment y rencontrer les organisations syndicales du site, bien décidés à engager un dialogue "musclé" avec leur directeur général.

L’Etat Français ne parait pas beaucoup plus à l’aise. Bpifrance, qui détient 6% du capital de l’entreprise, a prévu de s’abstenir ce mardi lors du vote. A Bercy, on ne fait aucun commentaire. Il y a deux ans, 52% des actionnaires s’étaient prononcés contre la rémunération de Carlos Tavares. Un vote purement consultatif et donc sans effet mais qui sonne aujourd’hui comme un avertissement pour l’un des patrons les mieux rémunérés du Cac 40.

Justine Vassogne