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SNCF: la poudrière sociale au bord de l’embrasement?

Les motifs de contestation se multiplient à la SNCF et les relations entre direction et cheminots semblent plus tendues que jamais. Après deux mouvements sociaux qui ont marqué le mois d'octobre, les syndicats se préparent désormais à la grande mobilisation du 5 décembre pour protester contre la réforme des retraites.

La SNCF est en ébullition. Depuis plusieurs semaines, le climat social au sein de la compagnie ferroviaire s’est nettement dégradé avec l’ouverture de plusieurs fronts de contestation. Retraites, conditions de travail… Le bras de fer entre gouvernement et direction d’un côté, et les syndicats de l’autre, semble désormais bien engagé, faisant de nombreuses victimes collatérales parmi les passagers.

Ce mardi encore, seul un tiers des TGV circulait sur l’axe Atlantique en raison d’un mouvement social local débuté le 21 octobre dans un centre de maintenance de Châtillon (92). Les 200 grévistes dénonçaient initialement le projet de la SNCF de mettre fin à un accord local leur assurant douze jours de repos supplémentaires, en contrepartie d’une réduction du nombre de week-ends et de nuits travaillés.

Des contestations locales et nationales 

Face à la colère, la SNCF assure avoir renoncé à ce projet dès le mardi 22 octobre. Dénonçant une grève illégitime car non accompagnée de préavis, la direction affirme que les cheminots demandent désormais le paiement des jours de grève ainsi qu’une prime. Une information démentie par certains syndicats.

La poursuite de ce mouvement semble davantage liée à des revendications plus larges, témoignant d’un ras-le-bol général: "Nous ne pouvons plus accepter de travailler avec des salaires proches du SMIC et gelés depuis cinq ans, en sous-effectifs et avec des agents qui démissionnent de plus en plus", ont fait savoir les cheminots dans un communiqué. Avant de déclarer avoir "honte de voir comment la SNCF joue avec la sécurité ou encore le confort des voyageurs, pour des questions de flexibilité et de rentabilité". Les syndicats misent désormais sur une contagion du mouvement à d’autres technicentres de la compagnie.

Le droit de retrait exercé par les cheminots après un accident de TER survenu dans les Ardennes le mercredi 16 octobre est tout aussi révélateur du malaise social qui touche l’entreprise ferroviaire. Cette action collective entreprise au niveau national a donné lieu à une nouvelle passe d’armes entre la direction, soutenue par le gouvernement, qui conteste la légitimité du droit de retrait et les syndicats qui dénoncent le manque de sécurité à bord des trains.

L’entreprise a d’ailleurs fait savoir que des sanctions seraient prises à l’encontre des cheminots ayant cessé le travail. "Ils mettent de l’huile sur le feu", ont immédiatement réagi les principaux intéressés.

La crainte du 5 décembre

Dans un contexte social extrêmement tendu, la journée de mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites cette fois s’annonce particulièrement explosive. Et de nombreuses revendications pourraient venir se greffer au motif initial de ce mouvement. Pour témoigner leur colère, les syndicats SUD Rail et l’Unsa ont déjà rejoint l’appel de l’intersyndicale de la RATP à une grève reconductible.

De leur côté, les usagers craignent de voir le climat social s’embraser : "La journée du 5 décembre nous inquiète énormément. Cela arrive, en plus, au moment où les usagers sont de plus en plus nombreux à apprécier le ferroviaire. On a un besoin de ferroviaire, il faut que l’entreprise se mette en position d’y répondre", a déclaré sur Europe 1 Bruno Gazeau, président de la FNAUT (Fédération nationale des associations d’usagers des transports).

Ce dernier a également déploré les "nombreux conflits sociaux" qui "se succèdent qu’ils soient nationaux ou régionaux". "La FNAUT ne conteste pas le droit de grève, qui est dans la constitution, mais elle appelle à ce que le dialogue social dans l’entreprise permettent de résoudre les problèmes d’organisation du travail qui, dans une autre entreprise, pourraient se résoudre sans forcément aller jusqu’au conflit", a-t-il souligné.

Une réforme mal digérée

D’où viennent toutes ces tensions à la SNCF? Beaucoup s’accordent à dire que la réforme de l’entreprise votée l’an dernier a été l’élément déclencheur. "La pilule n’est pas passée, elle reste encore amère", a expliqué à France info Bernard Aubin, secrétaire général du syndicat de cheminots First. "Quand vous créez une poudrière, vous jetez de l’huile sur le feu, il ne faut pas s’étonner qu’ensuite les choses dérapent", a-t-il ajouté.

Il faut dire que cette réforme va s’accompagner de nombreux bouleversements entre ouverture à la concurrence et fin de l’embauche au statut dès 2020. Ajouté à cela le changement de PDG avec le remplacement le 1er novembre de Guillaume Pepy par Jean-Pierre Farandou. Et bien sûr, la réforme des retraites qui prévoit la suppression des régimes spéciaux. Autant d’éléments sources d’inquiétudes chez les cheminots.

Un dialogue encore possible?

Conscient du risque d’embrasement, le gouvernement tente de désamorcer le conflit en multipliant les séquences de concertations. Ce mardi, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez rencontrera le haut-commissaire à la réforme des retraites. Avant une nouvelle rencontre, jeudi, entre Jean-Paul Delevoye et cette fois l'ensemble des syndicats de la SNCF.

La CGT-Cheminots a toutefois indiqué lundi qu’elle ne se rendrait pas au rendez-vous prévu avec le secrétaire d’État aux Tranports, Jean-Baptiste Djebbari, à propos de la fusion de leur régime spécial de retraite dans le système universel. Jugeant "obscène" l’organisation d’une rencontre sur ce sujet "dans le contexte social que nous connaissons", le secrétaire général de la CGT Cheminots, Laurent Brun, a regretté que Jean-Baptiste Djebbari "refuse d’aborder les questions de transport" et "méprise les cheminots qui alertent sur la sécurité".

De son côté, Emmanuel Macron est resté ferme: "Je veux aller au bout de cette réforme, je pense qu'elle est nécessaire pour le pays donc je la défendrai. […] Je ferai tout pour qu'il n'y ait pas ces blocages, je ferai tout pour qu'on soit en soutien de nos compatriotes qui seraient bloqués, mais je n'aurai aucune forme de faiblesse ou de complaisance", a déclaré le chef de l'État lundi. Avant de tempérer à propos des régimes spéciaux que cette transformation du système de retraites ne nie pas "ce que sont les droits acquis des individus".

Paul Louis