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La vente d’Equans tourne aux enchères sociales

Les syndicats d’Engie auditionnent jeudi et vendredi les quatre candidats au rachat de la filiale de services à l’énergie. Ils présenteront leur projet social pour remporter leur indispensable adhésion.

Il est rare que les salariés soient aussi décisifs dans une opération d’envergure comme la vente d’Equans. Habituellement spectateurs passifs, les syndicats sont au cœur du processus enclenché par Engie, le propriétaire de cette gigantesque filiale de services à l’énergie.

En cette fin de semaine, le comité de groupe européen d’Engie reçoit les quatre candidats au rachat d’Equans. Bouygues et Eiffage ce jeudi, Spie et le fonds Bain Capital vendredi, présentent aux représentants des salariés le volet social de leur projet, clé de voute de l’opération. Avec 74.000 salariés dont 27.000 en France, l’emploi est central. "L’Elysée est très orienté sur le social, plaide un des candidats. Juste avant la campagne présidentielle, le sujet est très sensible". Plusieurs candidats ont déjà recruté des cabinets spécialisés dans l’accompagnement RH. Bain a misé sur Alixio et son influent patron Raymond Soubie. Bouygues a choisi Topics, dirigé par l’ancien DRH d’Orange, Bruno Mettling.

Les syndicats seront incontournables lors du choix du repreneur courant novembre. La CFDT, première organisation syndicale chez Engie et Equans l’a bien fait comprendre au propriétaire Engie et son premier actionnaire, l’Etat, qui décideront ensemble. L’épisode houleux de la vente de Suez par Engie à Veolia a laissé des traces.

"On a bien fait comprendre à la direction qu’on ne voulait pas être mis sur le fait accompli comme l’an passé", peste encore un élu. Même son de cloche du côté de l’Etat. Il faudra un consensus et les syndicats auront un veto.

"Si un candidat est refusé par les salariés, il n’aura aucune chance de gagner", reconnait un des prétendants.

Le comité de groupe européen d’Engie, conscient de son pouvoir inédit, n’exclut pas de prendre position pour un candidat.

Les syndicats font leur choix

Du coup, tous font la cour aux représentants de salariés, ceux de la CFDT en tête. "Tous viennent nous voir, s’amuse l’un d’entre eux. Et acceptent toutes nos demandes". Au point que les candidats se livrent une véritable enchère sociale, du jamais vu pour une transaction de cette taille, qui atteindra 6 milliards d’euros.

Et que les syndicats entrent dans le jeu. Force Ouvrière semble plutôt favorable à Bouygues, alors qu’ils sont déjà très implantés dans le groupe de BTP. La CGT reste opposée à la vente d’Equans mais, faute de mieux, mise davantage sur Bouygues ou Eiffage: pour éviter le fonds d’investissement Bain. Et la CFDT reste pour le moment neutre, appuyant sur les faiblesses de Bouygues et Bain pour faire monter les enchères sociales. Tous estiment que Spie est, en matière sociale, le moins convaincant. "Il y aura beaucoup de doublons chez Spie, en France mais aussi en Belgique, estime un élu d’Engie. Et ils ont déjà annoncé vouloir revendre la filiale américaine d’Equans".

Il y a un mois, ils avaient fixé une garantie de maintien de l’emploi à trois ans. Le fonds américain Bain Capital, extrêmement offensif, a proposé cinq ans, pour doubler ses concurrents. Bouygues, Eiffage et Spie n’ont pas eu d’autre choix que de s’aligner. "Cette garantie est un faux sujet car les métiers d’Equans souffrent de pénurie de main d’œuvre, confie un bon connaisseur du dossier. Avec 15% de turn-over par an, les effectifs pourront être ajustés". Nuance importante, Bain promet de ne pas procéder à de "départs contraints" quand Bouygues s’engage sur des "départs volontaires".

Le fonds Bain très offensif

Les candidats promettent même de recruter jusqu’à 2.500 emplois dès le départ pour faire face au manque de salariés dans certains métiers. Alors que les syndicats craignent des réductions de postes chez Bouygues dans les fonctions supports, le groupe de BTP promet de reclasser les sur-effectifs de sa branche énergie dans les autres branches de l’empire familial: la construction, le bâtiment, l’immobilier…

Le social est, à la surprise générale, l’axe principal de la stratégie du fonds Bain. Pour tenter de gommer son image de financier, qui plus est américain, il multiplie les gestes sociaux… et politique. Il propose ainsi pour Equans le statut d’"entreprise à mission" et de l’actionnariat salarié à hauteur de 1% ou 2% au départ et jusqu’à 5% dans cinq ans. Deux éléments clés de la loi Pacte, votée par Bruno Le Maire. Un signe fort pour convaincre le ministre de l’Economie de choisir leur offre.

Tous promettent aussi de maintenir les statuts et avantages sociaux des salariés d’Equans. Un avantage à Bouygues qui laissera Equans absorber ses activités de services à l’énergie et à Bain qui n’a pas de fusion à mener. Engie devrait choisir le repreneur dans un mois après le dépôt des deuxièmes offres le 2 novembre. Une fois qu’il aura poussé le prix de vente au maximum, nul doute qu’Engie jouera encore un peu plus la concurrence entre les candidats. Un "troisième tour social" en perspective.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business