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La France réfléchit à relancer son activité minière (image d'illustration)

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Transition énergétique: la France avance en terrain minier

L'abandon programmé des énergies fossiles génère une demande toujours plus forte en métaux comme le nickel ou le cobalt pour produire batteries et éoliennes. Totalement dépendante de l'étranger sur ses matières premières, la France réfléchit à creuser de nouvelles mines sur son territoire, riche en minerais stratégiques.

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En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des minerais. Enfouis dans le sous-sol auvergnat ou posés à même les fonds marins polynésiens, le tungstène, zinc ou lithium pourraient permettre à la deuxième économie européenne de répondre à sa plus grande transformation: le passage d'une consommation énergétique dominée par le pétrole à une électricité entièrement décarbonée d'ici 2050.

Pour cela, la France s'appuie sur son nucléaire, avec la construction de nouveaux réacteurs EPR mais aussi sur le développement massif des énergies renouvelables. Et ce sont bien les batteries, éoliennes et panneaux photovoltaïques qui seront l'or noir des prochaines décennies. Ce changement de paradigme, mondial, entraînera une explosion de la demande en métaux pour les fabriquer, qui se ressent déjà dans les cours actuels des matières premières.

Le lithium, évidemment, sera crucial pour les batteries. Mais aussi le cuivre, le cobalt, le nickel… et une multitude d'éléments que seuls les adeptes du tableau de Mendeleïev connaissent par cœur (niobium, gallium, indium…). Grâce à leurs propriétés physiques, ils servent par exemple à fabriquer les précieux aimants permanents qui font tourner les turbines d'éoliennes.

La répartition des principaux métaux dans une batterie standard d'un véhicule. La distribution et les métaux utilisés dépendent de la technologie utilisée.
La répartition des principaux métaux dans une batterie standard d'un véhicule. La distribution et les métaux utilisés dépendent de la technologie utilisée. © Pierre-Oscar Brunet

Enfin, symboles de cette guerre des métaux en latence, les fameuses terres rares sont devenues une clé de voûte des nouveaux composants électroniques. Si elles tirent leur nom de la difficulté à les extraire plutôt que de leur réelle rareté sur Terre, elles résument à elles seules les tensions en approvisionnement qui s'installent dans le monde entier. Consciente très tôt de leur valeur, la Chine représente encore 60% de leur production mondiale et n'avait pas hésité à suspendre ses exportations en 2011 après des troubles géopolitiques avec le Japon.

Voici donc l'équation à résoudre: selon les prévisions de l'OCDE, la demande en métaux devrait passer de 8 à 20 milliards de tonnes d'ici 2060 dans le monde. Or, l'Europe dépend, selon les metaux, de 75 % à 100 % des importations. Quant à la France, elle dépend totalement de l'étranger.

Un chiffre pour résumer la démesure qui attend la planète: au moins 130 millions de véhicules électriques devraient circuler dans le monde d'ici la fin de la décennie, contre 11 millions actuellement, selon les projections de l'IEA (International Energy Agency).

Pour répondre à cette demande, la demande annuelle mondiale en cobalt va presque tripler pour passer de 120.000 tonnes aujourd'hui à 270.000 tonnes en 2030. Pour le lithium, elle passera de 74.000 tonnes à 242.000 tonnes. Et il s'agit du bas de la fourchette des estimations de l'IEA...

Pour y faire face, la réouverture de nouvelles mines n'est plus un tabou. Sur ce sujet crucial mais explosif, un rapport de l'ex-PDG de PSA Philippe Varin est attendu courant décembre. Il rendra les premières conclusions de sa mission sur la sécurisation des approvisionnements en métaux stratégiques, point de départ d'une série de mesures gouvernementales espérées par les industriels de la mine pour relancer la filière. "Tout le monde a envie de se relever les manches" assure Christophe Poinssot, directeur général délégué du Bureau de recherches géologiques et minière (BRGM), l'établissement public de référence sur le sujet.

Un des pays les plus riches d'Europe

Car la France, depuis la métropole jusqu'aux territoires d'outre-mer en passant par son gigantesque domaine maritime - le deuxième au monde juste derrière celui des Etats-Unis - ne manque pas d'atouts géologiques.

Rien que dans l'Hexagone, "il existe un potentiel important d'antimoine, de tungstène et d'or, sans compter des gisements de métaux de base dans lesquels sont parfois associés des métaux rares comme l’indium ou le germanium" énumère Eric Gloaguen, ingénieur géologue au BRGM.

Grâce à sa longue histoire volcanique, le sous-sol métropolitain fait même partie des mieux lotis du continent sur le plan minéral, notamment dans les Pyrénées et le Massif central. De l'autre côté du globe, la Nouvelle-Calédonie est déjà un important producteur mondial de nickel tandis que les failles océaniques des abysses polynésiennes recèlent de véritables trésors minéraux.

La question des nouvelles mines n'est pas si récente. Elle est au cœur de plusieurs rapports destinés au gouvernement ces dernières années. En 2015, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron plaidait déjà, comme son prédécesseur Arnaud Montebourg, pour un renouveau minier en France. Mais la crise sanitaire et ses ratés industriels lui ont donné un nouvel élan.

Masques, médicaments, semi-conducteurs… Soudainement la France, comme l'Europe, ont constaté les dégâts d'une souveraineté mise à mal par la mondialisation et la délocalisation des activités industrielles à moindre coût. Bruno Jacquemin, directeur général de l'Alliance des minerais, minéraux et métaux, qui fédère la filière française, le reconnaît aisément:

"Sur la question des mines, tout s'est accéléré"

La flambée récente des prix du gaz et du pétrole est aussi venue rappeler la dépendance de la France aux pays extérieurs pour une grande partie de sa consommation énergétique.

Vers un nouvel inventaire

Mais pour un pays qui a clos en 2004 son long et parfois douloureux chapitre charbonnier, le sujet est particulièrement sensible. Le gouvernement marche sur des œufs, promettant de ne pas refaire de l'Hexagone un chantier à ciel ouvert aux vieux airs de Germinal, en privilégiant plutôt les petites exploitations aux grandes machineries inadaptées. "On est dans une phase de travail, la volonté c'est de continuer à travailler" martèle une source au ministère de l'Economie. Traduisez: il faut avancer sur cette question stratégique mais surtout éviter une levée de boucliers.

Première étape: remettre à jour le potentiel français, finalement mal connu. Le dernier "Inventaire Minier national" a été mené entre 1975 et 1992, n'a couvert qu'une partie du territoire, en tenant compte d'enjeux qui ne sont plus ceux d'aujourd'hui. "Le lithium, on le regardait très peu avant. C'est seulement lorsqu'on s'y est intéressé qu'on a vu le potentiel qu'il représentait en France" explique Eric Gloaguen. C'est donc un nouvel état des lieux du BRGM qui est espéré. Un processus long et complexe mais indispensable pour comprendre ce que recèle réellement le sous-sol. Selon nos informations, le financement pour cet inventaire devrait enfin être débloqué l'an prochain.

Un tableau de Mendeleïev
Un tableau de Mendeleïev © Pexels

En attendant, quelques compagnies minières étrangères sondent tout de même la terre pour se faire une idée du rendement possible. Mais les permis d'exploration (et non d'exploitation) se comptent sur les doigts de la main, faute de candidats prêts à y investir du temps et de l'argent. "Il y a des dizaines d'indices de gisements qui ne donneront jamais lieu à des exploitations" décrypte Alain Liger, ex-DG de Tungstène du Narbonnais, un projet de mine dans le Tarn mené par le groupe sud-africain Raubex. "A la fin, la probabilité d'exploiter est inférieure à 1%."

Contrairement aux idées reçues, ces métaux ne s'agrègent pas en veines facilement exploitables. Il faut en réalité extraire une quantité importante de terre puis la raffiner pour récupérer une petite quantité de métaux. Par exemple, on trouve en moyenne dans une tonne de terre extraite à peine 5 grammes de platine. Juger de l'intérêt et de la rentabilité d'un gisement s'avère donc long et complexe. Une perspective qui a tendance à refroidir les banques européennes, très frileuses sur ce type de projets encore controversés.

Résultat: en dehors des carrières et des mines de sel, il n'existe plus réellement d'exploitations commerciales minières en France métropolitaine. Mais un acteur tricolore prépare néanmoins une phase d'exploration ambitieuse dans le Massif central, qui devrait être annoncée dans les prochains mois.

Mission recyclage

Pour se fournir en matières premières, l'Europe compte d'abord s'appuyer sur le recyclage des produits électroniques pour fournir une partie des précieuses matières premières. Ces "mines urbaines", encore peu exploitées tant nos objets connectés peinent à être correctement recyclés, permettront de couvrir une partie des besoins mais les projections manquent encore sur le réel potentiel. De la même façon, l'UE cherche à mobiliser les acteurs européens pour sécuriser les approvisionnements dans le monde.

Pour accélérer le mouvement, le gouvernement a récemment remis sur la table législative le code minier, vieux de 30 ans, et dont la refonte était réclamée par les industriels de la mine comme par les écologistes. La nouvelle version, promulguée en août, encadre davantage les activités minières et impose des mesures environnementales plus strictes, notamment pour l'après-mine. Mais une partie de la loi, censée donner le cadre réglementaire pour les futures concessions, a été renvoyée à des ordonnances gouvernementales dont on attend toujours la publication. "Elles arriveront avant la fin du quinquennat" s'empresse-t-on d'indiquer du côté de Bercy.

Pourtant, définir le potentiel minier et poser le cadre règlementaire ne suffiront pas seuls à relancer l'activité. De l'aveu de tous les acteurs de la filière, l'acceptabilité sociale reste le principal obstacle. Certaines anciennes mines ont provoqué des dégâts environnementaux majeurs en France. La mine d'or de Salsigne (Aude), en activité de 1873 à 2004, a laissé derrière elle une terre durablement polluée à l'arsenic dans le massif de la Montagne Noire. Alors les spécialistes du forage, sud-africains, australiens ou britanniques sont rarement accueillis à bras ouverts, même lorsqu'ils promettent des "mines responsables".

"Aujourd'hui, les scientifiques et ingénieurs savent développer des procédés d'extraction performants qui recyclent un maximum de leurs produits et ont une consommation d'eau très faible" promet d'ailleurs Christophe Poinssot.

Cette "mine responsable" reste un concept controversé. Elle est censée rompre avec les images catastrophiques des gigantesques chantiers où se mêlent encore pollution et misère sociale.

Une vaste mine de lithium dans le salar d'Uyuni, en Bolivie
Une vaste mine de lithium dans le salar d'Uyuni, en Bolivie © Pablo COZZAGLIO / AFP

Alors la mine de demain devra être exemplaire. La France a lancé en 2015 une grande étude sur la question, qui a débouché sur un Livre blanc. Le rapport y décrit la mine responsable comme respectueuse des droits des communautés locales et de l'environnement sans pour autant détailler les mesures concrètes pour y répondre. Les compagnies minières, traditionnellement dans le viseur des écologistes, apportent plus de précisions: elles imaginent utiliser l'intelligence artificielle et la robotique pour moderniser l'extraction, optimiser les ressources et ainsi éviter le gaspillage.

Le français Eramet a, par exemple, fait de la question environnementale un de ses objectifs dans sa feuille de route RSE visant une réduction de 26% de la quantité de CO2 par tonne de produit sortant d’ici 2023. Parmi ses projets, le groupe parie sur l'extraction de lithium dans les eaux géothermales alsaciennes avec une nouvelle méthode d'extraction, plus rapide et moins énergivore, promet-on.

Le groupe suédois LKAB a parié, de son côté, sur le fameux robot à quatre pattes de Boston Dynamics, réputé pour son agilité. Il s'avère être un très bon outil pour s'aventurer dans les exploitations et ainsi épargner certaines tâches pénibles à ses salariés.

L'association SystExt, qui regroupe des ingénieurs miniers critiques envers les méthodes d'extraction, reste néanmoins très dubitative sur les bonnes intentions des compagnies. Dans un récent rapport, elle tranche: si les technologies (robotique…) ont changé, les techniques (forage…) restent les mêmes et les quantités d’énergie et d’eau nécessaires au traitement du minerai sont toujours "considérables". D'autant qu'en Alsace, comme en Espagne ou au Portugal où de nouveaux projets se développent, la fièvre du lithium se heurte là-encore à une vive opposition locale.

Stellantis va se fournir en Allemagne

Le constructeur automobile, issu de la fusion entre PSA et Fiat-Chrysler, a signé le 29 novembre dernier un accord avec l'australien Vulcan Energy pour fournir en lithium ses "gigafactories" européennes à Douvrin (Pas-de-Calais) et Kaiserslautern (Rhénanie-Palatinat), et en Italie Vulcan va exploiter le lithium rhénan, les mêmes sources géothermiques qu'en Alsace, et promet 81.000 à 99.000 tonnes d'hydroxyde de lithium, livrées entre 2026 et 2031.

Alors si creuser la terre est si compliqué, pourquoi ne pas s'intéresser aux grands fonds marins? C'est l'autre grande axe d'espoir pour l'approvisionnement français. L'année dernière, l'économiste Jean-Louis Levet a remis un rapport sur la question au gouvernement avec comme première priorité d'explorer le potentiel des abysses françaises. Message bien reçu par Emmanuel Macron qui en a fait un des leviers stratégiques du plan de relance France 2030, présenté en octobre dernier. Nodules polymétalliques, dépôts d’amas sulfurés et encroutements cobaltifères sont posés à même le sol, telles de grosses pierres. Ils contiennent notamment du zinc, du cobalt, du manganèse, du titane…

Les réserves à portée de main donnent le vertige, d'autant qu'une grande partie de la zone économique exclusive (ZEE) de la France couvre, au niveau de la Polynésie, un des encroûtements cobaltifères les plus riches du monde. Son exploitation, envisagée depuis des années, n'est pourtant pas une mince affaire au milieu de l'océan et à 4000 mètres de profondeur.

"On imagine souvent les abysses comme des plaines, mais ce sont les Pyrénées en dessous" prévient l'océanographe Jean-Pierre Sornin.

Il a fondé la startup Abyssa pour explorer avec des petits sous-marins ces fonds encore mal connus.

En mer aussi, l'appétit des industriels inquiète: ôter les précieux minerais déstabiliserait les fonds océaniques en soulevant une masse de sédiments qui viendrait troubler le cocktail chimique parfaitement équilibré des abysses. D'où l'idée d'avancer sur l'exploration et les conséquences potentielles, au moins dans un premier temps. "Les industriels n'iront pas exploiter tant que les impacts ne seront pas faibles. Hors de question de reproduire les erreurs du passé" croit savoir Jean-Pierre Sornin.

Les nodules polymétalliques regorgent de métaux.
Les nodules polymétalliques regorgent de métaux. © Ifremer

Sur ce sujet, la Norvège, qui dispose au large du Groenland d'une dorsale océanique très prometteuse, fait partie des pays pionniers. L'entreprise locale Loke Marine Minerals s'est récemment associée à TechnipFMC pour développer de nouvelles technologies à "impact minimal" sur l'océan en utilisant des robots pilotés à distance. Le duo attend désormais d'obtenir le feu vert du gouvernement norvégien qui se prononcera à la fin de l'année 2023 sur une possible exploitation. En jeu, un potentiel qui pourrait atteindre des records: 21,7 millions de tonnes de cuivre et 22,7 millions de tonnes de zinc, selon la Norwegian University of Science and Technology.

Mais les tenants de la mine terrestre pointent du doigt une incongruité: pourquoi aller chercher des métaux au fond de l'océan pour ensuite les faire traverser la moitié de la planète jusqu'en Europe quand le vieux continent pourrait miner sur place?

Car le transport est l'autre casse-tête écologique des métaux.

"Le lithium d'une batterie fait environ 30.000 km compte tenu de l'ensemble la chaîne de valeur", résume Christophe Poinssot.

Au final, l'extraction, en France ou dans les abysses, n'est qu'une maille de cette chaîne. Quel serait l'intérêt d'extraire en France si le raffinage ou l'assemblage des batteries ont lieu en Chine? "L'idée est bien de travailler sur toute la chaîne de valeur, faire le lien entre l'amont et l'aval" précise-t-on à Bercy. Le fameux lithium alsacien aurait donc toute sa place dans les deux méga-usines de batteries de voitures électriques des Hauts-de-France, annoncées par le gouvernement cette année, et attendues pour 2024.

Réindustrialiser le virtuel

En creux, le pays fait face à un choix stratégique après avoir longtemps délaissé son industrie au profit d'une économie de services. La pénurie de semi-conducteurs, qui paralyse par exemple les constructeurs automobiles français, a été une piqure de rappel. "La France est sans doute l'un des pays européens qui s'est le plus désindustrialisé", rappelle Christophe Poinssot.

"Beaucoup ne se rendent pas compte que derrière internet et les mondes virtuels, il y des ressources nombreuses, et donc des industries et des mines."

"Alors, vaut-il mieux le faire en Europe proprement, ou le faire dans des pays lointains qui n'accordent pas forcément la même attention aux impacts environnementaux et aux populations locales?" s'interroge-t-il.

Cette perspective ne manque pas de ramifications. Elle implique d'imposer une traçabilité stricte, voire un label, pour les métaux extraits en France, forcément plus chers, afin d'assurer une rentabilité à ces nouvelles mines.

Enfin, la question des mines est aussi financière. Il s'agit d'offrir une contrepartie intéressante aux territoires concernés par ces exploitations, sur le modèle des centrales nucléaires qui sont aussi des mannes fiscales considérables pour les villes d'accueil.

Tout cela pour engager une nouvelle révolution industrielle qui mettra, a minima, une décennie à se mettre en place… Mais si la France fait ce choix, alors elle devra se préparer dès aujourd'hui.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business