BFM Business
Industries

Comment le retournement du marché des PC et des cryptos pourrait éteindre la pénurie de puces

Les industriels des semi-conducteurs pourraient assez rapidement redéployer leurs capacités pour servir plus rapidement les secteurs en souffrance. Le risque, passer de la pénurie à la surproduction.

La pénurie de puces continue de frapper douloureusement de nombreux secteurs industriels avec en premier lieu celui de l'automobile. "Personne n’a de visibilité à plus d’un mois et selon les fabricants de semi-conducteurs, il ne faut pas attendre de retour à la normale avant 2023" se désolait il y a quelques jours un analyste pour BFM Business.

Si de nombreux grands fondeurs comme Intel ou TSMC ont annoncé le renforcement de leurs capacités de production et/ou l'ouverture de nouvelles usines, ces mesures prendront du temps. Trop de temps pour des clients dont l'offre est asséchée faute de ces composants.

Mais il y a un petit espoir que cette pénurie s'achève un peu plus tôt que prévu. Le retournement du marché des ordinateurs (après la flambée due aux confinements en 2020-2021) et la chute de celui des cryptos qui entraîne avec lui celui des cartes graphiques (qui servent à miner) pourrait donner de l'oxygène aux géants des semi.

-8% cette année pour les ventes de PC après deux années en feu

Schématiquement, les industriels des semi-conducteurs pourraient redéployer leurs capacités pour servir plus rapidement les secteurs en souffrance grâce à une demande moins forte de la part des fabricants de PC, de smartphones et de cartes graphiques.

Commençons par le marché des ordinateurs. Le cabinet d'études IDC table sur une baisse des ventes mondiales cette année de plus de -8% à environ 321 millions d'unités. Le renouvellement des machines, tant au niveau personnel que dans les entreprises, semble aujourd'hui achevé après les bonds historiques de +13% et de +15% en 2020 et 2021.

Par ailleurs, l'inflation galopante (8,6% aux Etats-Unis en mai) pèse sur la demande en produits technologiques et connectés comme les smartphones dont les ventes devraient également reculer cette année.

Illustration de cette tendance, Intel a temporairement gelé les embauches dans sa division de puces PC en juin, entre autres mesures de réduction de la voilure tandis que le fabricant de mémoires Micron souligne que "l'environnement de la demande de l'industrie s'est affaibli".

Des délais en baisse pour les microcontrôleurs

Du côté des cryptos, les chutes des cours observées depuis plusieurs semaines font que la demande en cartes graphiques s'écroule. Il suffit d'observer leurs prix: selon le site spécialisé Toms Hardware, ils ont déjà baissé de 15% en mai avec un retour des stocks chez les détaillants.

Le leader du secteur, l'américain Nvidia a également réduit le rythme de ses embauches et remplit ses stocks. Le marché a bien saisi ce changement de climat dans la tech: l'action du fabricant a fondu de 48% au premier semestre.

Conséquence, les grands fondeurs revoient tous leurs prévisions à la baisse tout en redéployant leurs capacités pour servir les secteurs en panne de puces.

Ainsi, si les délais de livraison des puces étaient à un niveau quasi record de 27 semaines en mai selon Susquehanna Financial Group cité par le Wall Street Journal, les temps d'attente pour les microcontrôleurs, ces puces omniprésentes dans les automobiles notamment se sont raccourcis.

Il ne faut pas non plus s'attendre à ce que cette pénurie s'éteigne d'un coup. Selon Gartner, les usines de puces dans le monde fonctionnaient presque à pleine capacité au premier trimestre mais le redéploiement des capacités pourrait permettre d'en finir à la fin de l'année plutôt qu'en 2023.

Des capacités en hausse quand la demande aura baissé?

Mais cette évolution pourrait avoir un effet pervers. Combinée aux initiatives des industriels d'augmenter leurs productions notamment à travers de nouvelles usines, elle pourrait déboucher à terme sur une surproduction.

Le secteur "est caractérisé par une alternance de phases durant lesquelles l’offre est supérieure à la demande et de phases durant lesquelles c’est l’inverse" soulignait fin 2021, Mathilde Aubry, enseignant-chercheur, titulaire de la chaire management de la transformation numérique de l'EM Normandie dans un rapport.

Conséquence, "quand toutes les nouvelles fabs (usines, NDLR) seront opérationnelles, la hausse des prix que nous pouvons connaître actuellement aura entraîné une baisse de la demande. La conséquence sera alors une nouvelle phase de surplus (offre supérieure à la demande). Ces usines risquent de ne pas être rentables, d’autant plus qu’elles deviennent, dans ce secteur, rapidement obsolètes".

Reste donc désormais à savoir si les méga-investissements d'industriels comme Intel seront maintenus ou pas. Ou si l'Europe souhaite ajuster l'Alliance microélectronique visant à renouer avec une production européenne de semi-conducteurs.

20 à 30 milliards d’euros y seront consacrés pour commencer a indiqué Thierry Breton, commissaire européen, et jusqu’à 20% du plan de relance soit 145 milliards d’euros pour des puces de quatrième génération.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business