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Pourquoi le nucléaire ne sera pas la solution miracle de la transition énergétique

L'énergie nucléaire reste l'une des moins chères

L'énergie nucléaire reste l'une des moins chères - dr

Alors que les prix du gaz et du pétrole atteignent des sommets, l'exécutif souhaite relancer une filière nucléaire contestée depuis plusieurs années. Si l'atome apparait nécessaire pour limiter les énergies fossiles, il ne pourra pas résoudre seul l'équation complexe des prochaines décennies.

Des atomes plutôt que des éoliennes? Alors que les pales géantes installées dans les champs et au large cristallisent certaines colères, le nucléaire pourrait faire son grand retour au cœur de la politique énergétique française. Prudent sur le sujet depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière un milliard d'euros d'investissement dans la construction de petites centrales nucléaires (SMR). En parallèle, Bruno Le Maire, ministre de l'Economie tout comme Agnès Pannier-Runacher n'ont pas caché leur penchant pour cette énergie "bas-carbone".

"Pour rebâtir une filière compétitive et attractive, il faut dire haut et fort: je crois dans l'énergie nucléaire" a lancé le premier dans une interview à La Tribune. "Aujourd'hui, nous avons besoin de nucléaire, c'est parfaitement assumé" a souligné la seconde sur BFMTV.

Ce discours pro-nucléaire, latent ces dernières années au sein d'un exécutif, ressemble désormais à un programme électoral alors que le monde entier traverse une importante crise de l'énergie. Les hausses du prix du gaz et de l'électricité sont venues rappeler plusieurs évidences: grâce au nucléaire, la France fait partie des pays les plus vertueux en matière d'émissions de gaz avec un prix de l'électricité encore bas puisque largement décoléré des soubresauts géopolitiques.

Mais la France reste aussi très exposée à la flambée des prix des énergies fossiles.

Un défi gigantesque

Si l'Hexagone produit une majorité de son électricité grâce au nucléaire (67,1% de sa production en 2020), la consommation énergétique finale esquisse le portrait d'une France bien moins décarbonée. L'année dernière, la part des produits pétroliers représentait la majeure partie de la consommation énergétique finale en France (43%) devant l'électricité (25%) et le gaz (20%).

Alors que le pays vise une très ambitieuse neutralité carbone d'ici à 2050, le défi s'annonce gigantesque. Rien que dans l'industrie, la consommation d'électricité devra être multipliée par 3,2 pour atteindre cet objectif.

L'atome sera-t-il le sauveur? La France a l'avantage d'avoir une filière industrielle historique et un concept d'EPR dans les cartons. Cette nouvelle génération de réacteurs a enchaîné les erreurs et les retards mais les récents rapports sur la question ont servi d'électrochoc.

"Toutes les déboires de Flamanville, on ne les aura pas pour les prochains EPR", juge ainsi Nicolas Goldberg, Senior Manager Energie chez Colombus Consulting.

Les EPR exportés à l'étranger ont aussi subi des retards mais semblent sur une meilleure voie. Ceux construits en Chine sont même déjà opérationnels.

L'EPR de Flamanville (image d'illustration)
L'EPR de Flamanville (image d'illustration) © Charly Triballeau - AFP

Autant de retours d'expérience qui rendent le projet techniquement faisable, même si le prix de production de l'électricité pourrait être plus élevé qu'attendu.

Le nucléaire, une (simple) partie de la solution

Il n'empêche, Emmanuel Macron, qui reportait cette décision depuis plusieurs années, pourrait finalement annoncer le lancement de nouveaux EPR en France pour accélérer la transition énergétique. Il attendra néanmoins le rapport très attendu de RTE, gestionnaire du réseau de transport d'électricité, qui sera rendu public le 25 octobre prochain.

Six scénarios sont étudiés: trois d'entre eux excluent toute relance du nucléaire en privilégiant les énergies renouvelables et les trois autres combinent énergies renouvelables et nucléaire. Sauf surprise, RTE devrait plaider pour la deuxième solution tant les investissements dans le renouvelable ont déjà pris d'importants retards en France.

En réalité, même avec la construction de nouveaux EPR, la part des énergies renouvelables devra massivement augmenter pour atteindre l'objectif 2050. Dans son scénario le plus "nucléarisé" (50% nucléaire en 2050), RTE prévient que l'énergie solaire produite en France devra être multipliée par 7 et l'éolien par 2,5. Et ce scénario implique la construction de 14 EPR et de plusieurs SMR dans un laps de temps franchement optimiste. En clair, le développement du renouvelable sera aussi important que celui du nucléaire.

"Il faut mettre le pied au plancher, faire un plan Marshall à la fois pour les énergies renouvelables et pour le nucléaire" insiste Nicolas Goldberg, qui juge que les lacunes actuelles des énergies vertes (comme la saisonnalité) devront aussi être comblées ponctuellement par des centrales de gaz renouvelables (biogaz, hydrogène…).

Pour ou contre le pétrole, il faudra s'en passer

En parallèle, la consommation d'énergie devra ralentir considérablement, prévient l'analyste. "La stratégie bas carbone 2050, c’est diviser par deux la consommation d'énergie et en même temps augmenter de 30% la production d'électricité".

La sobriété sera probablement le maître-mot de la prochaine décennie car la production d'énergie propre sera loin de suffire à la demande mondiale, qui continuera à carburer largement au pétrole dans les prochaines années.

Le pétrole atteint de nouveaux sommets depuis 2014
Le pétrole atteint de nouveaux sommets depuis 2014 © AFP

Sauf que le prix du baril, qui dépasse désormais les 80 dollars, devrait rester haut, faute de production suffisante. "Depuis 2015, les investissements dans le pétrole se sont effondrés d'une part parce que les prix du pétrole avaient baissé et d'autre part parce que les sociétés pétrolières n'y ont plus vraiment d'intérêt" explique Alexandre Andlauer, analyste financier chez Kpler sur BFM Business. Relancer des forages importants coûteraient chers et prendraient du temps.

Pour ou contre le pétrole, il faudra s'en passer… à moins de payer le prix fort. Et pour cela, le nucléaire jouera un rôle crucial mais pas exclusif.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business