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Guerre en Ukraine: Et si un embargo sur le gaz russe était la meilleure sanction des Européens?

Si 40% du gaz naturel importé en Europe vient de Russie, un hypothétique embargo sur ces flux serait aussi un coup dur contre Moscou. A condition d'en accepter les conséquences en Europe...

Il y a une dizaine de jours, alors que les tensions montaient à la frontière ukrainienne, l'ambassadeur russe en Suède avait résumé en une phrase lapidaire ce que le Kremlin pensait des menaces de sanctions. "Pardonnez-moi l'expression, mais nous n'en avons rien à foutre de toutes leurs sanctions", assurait Viktor Tatarintsev.

Une manière de rappeler que la Russie a su vivre avec les sanctions depuis le début de la crise dans le Donbass en 2014 et a surtout préparé son économie à de nouvelles punitions. Pénaliser les oligarques? Beaucoup ont réorienté déjà leurs activités. Exclure les banques russes du système Swift? Les Européens sont loin d'être d'accord sur le sujet.

Reste tout de même le gaz. Une arme à double tranchant, qui pourrait être brandie par les Européens comme par les Russes. 41% du gaz naturel en Europe vient de Russie et l'Allemagne est particulièrement exposée. Pour autant, la Russie réalise environ 70% de ses revenus par ses ventes en Europe.

"La Russie dépend encore très largement de ses exports de gaz et de pétrole" rappelle sur BFM Business Olivier Dorgans, associé chez Ashurst. "Même s'il y a une alternative qui est en train se de créer vers la Chine, elle n'est pas suffisante pour compenser tous les exports."

Des alternatives moins coûteuses

D'ailleurs, malgré la suspension de la mise en service du gazoduc Nord Stream 2, les livraisons se poursuivent normalement, notamment via Nord Stream 1. "Je suis convaincu que les Russes ne veulent pas utiliser le gaz comme une arme dans le conflit", a déclaré ce jeudi le patron de TotalEnergies Patrick Pouyanné lors d'une conférence internationale, estimant que les vannes resteraient ouvertes.

Alors l'Europe pourrait-elle se permettre de couper le robinet? Du point de vue du coût financier, la crise énergétique avait déjà fait gonfler les prix. "Ce qu'on a à perdre est de moins en moins important" souligne Olivier Dorgans.

Selon l'Institut Kiel, une fondation publique allemande, la Russie aurait bien plus à perdre que l'Europe si un embargo sur le gaz était décidé. "Le produit intérieur brut (PIB) de la Russie chuterait de 2,9 %. Le PIB de l'Allemagne, en revanche, augmenterait légèrement de 0,1 %, et le PIB de l'UE augmenterait également de manière minimale" assure les auteurs d'un rapport récent qui estiment que les alternatives sont moins chères.

Sur les marchés à court terme, le gaz liquéfié américain se vend ainsi à moins de 5 dollars pour un million de BTU (British Thermal Units) contre plus de 28 dollars pour le gaz russe.

Les tankers plutôt que les gazoducs

Sur le plan de l'approvisionnement, un embargo sur le gaz russe serait tout de même hasardeux. Les réserves européennes sont basses et un coup de froid dans les semaines qui viennent serait difficile à encaisser dans les pays les plus dépendants.

"Pour alimenter l’Europe en gaz, soit on a des tuyaux soit on a des terminaux de regazéification où on amène du gaz naturel liquéfié (GNL). Or ils sont tous pleins en ce moment, et on n’a pas assez de terminaux en Europe pour regazéifier le gaz liquéfié afin de remplacer les 40% de gaz russe," expliqué Patrick Pouyanné.

Une situation contestée par un rapport de la banque Citigroup qui estime que l'Europe a encore des marges pour regazéifier du GNL, amené par tankers. Selon The Economist, les Européens ont d'ores et déjà réalisé des commandes massives auprès de la Chine, ce qui limiterait l'impact d'une chute brutale des exportations russes.

Lors de sa brève allocution de mi-journée, Emmanuel Macron a d'ailleurs prévenu: "les sanctions portées à la Russie seront à la hauteur de l'agression dont elle se rend coupable. Sur le plan militaire et économique autant que dans le domaine de l'énergie, nous serons sans faiblesse."

Ce conflit est surtout un ultime rappel sur le besoin pour l'Europe de diversifier ses approvisionnements, notamment du côté du Qatar, de l'Algérie ou des Etats-Unis.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business