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Comment la centrale nucléaire de Cattenom se relève de la corrosion sous contrainte

Il y a deux ans, la découverte de ce phénomène a bouleversé le calendrier des arrêts des réacteurs les plus puissants du parc français, entraînant le niveau de production d'électricité nucléaire en 2022 à son plus bas niveau depuis 35 ans. Reportage à la centrale nucléaire de Cattenom où s'achève le traitement de la CSC pour les réacteurs du palier P'4.

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A quelques jours de l'entrée dans l'hiver, de la fumée s'échappe des quatre tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire de Cattenom, non loin de la frontière avec le Luxembourg. Depuis deux ans, l'image était devenue rare en raison des arrêts répétés et prolongés des différents réacteurs. Un problème alors que la centrale joue un rôle important et permet à la région de produire deux fois plus d'électricité qu'elle n'en consomme en temps normal.

"Elle fournit de l'électricité pour à peu près trois millions de foyers et elle produit l'équivalent des deux tiers de la consommation du Grand-Est, indique le directeur du site Jérôme Le Saint. [...] C'est en puissance installée 5.200 MW et donc la deuxième centrale la plus puissante de France."
La centrale de Cattenom a été construite à partir de la fin des années 1970 et progressivement mise en service entre 1986 et 1991.
La centrale de Cattenom a été construite à partir de la fin des années 1970 et progressivement mise en service entre 1986 et 1991. © Essia Lakhoua

Le site a été construit à partir de la fin des années 1970 et progressivement mis en service entre 1986 et 1991. Avec une puissance de 1.300 MW chacun, les quatre tranches font partie du palier P'4, une catégorie de réacteurs de seconde génération.

Des arrêts réguliers aux durées variables

Les arrêts font partie du cycle de vie d'une centrale et ne constituent pas une anomalie en soi. De nature différente, ils sont espacés de 12 à 18 mois et incluent systématiquement le rechargement d'une partie du combustible qui permet au réacteur de fonctionner: l'uranium. Depuis la salle de commandes de la tranche numéro 1 de Cattenom, le chef d'exploitation Jean-Pierre Jungling dispose d'indicateurs pour connaître le niveau d'usure du combustible et déterminer le bon moment pour procéder à un rechargement en uranium. Il compare le principe à celui d'une voiture qui doit être régulièrement réalimenté en carburant:

"Elle a son plein d'essence à un moment donné, on la consomme et une fois qu'on a consommé son réservoir d'essence, il faut s'arrêter à la station et aller recharger. Ici, le principe est exactement le même. Quand il [l'uranium] est usé, on s'arrête, on ouvre notre réacteur et on change une partie de notre combustible puis on redémarre."

L'arrêt simple rechargement de combustible (aussi désigné par le terme "ASR") est le premier niveau dans la typologie d'arrêts auxquels sont confrontés les réacteurs nucléaires. Il s'agit d'arrêts assez courts, un peu plus d'un mois en moyenne, car ils contiennent peu, voire pas du tout d'opérations de maintenance. À Cattenom, le dernier ASR est récent puisqu'il a eu lieu en novembre dernier dans le réacteur numéro 3. Viennent ensuite les visites partielles qui durent entre deux et trois mois. Et pour cause, elles prévoient de réaliser plus de 10.000 activités variées qui vont du simple contrôle visuel des équipements à de lourds travaux de maintenance comme des remplacements de pièces. La dernière visite partielle à Cattenom a été menée dans le réacteur numéro 2 il y a bientôt un an.

Depuis la salle de commandes, l'équipe d'exploitation dispose d'indicateurs pour connaître le niveau d'usure du combustible et déterminer le bon moment pour procéder à un rechargement en uranium.
Depuis la salle de commandes, l'équipe d'exploitation dispose d'indicateurs pour connaître le niveau d'usure du combustible et déterminer le bon moment pour procéder à un rechargement en uranium. © Essia Lakhoua

Mais "l'arrêt phare", comme le désigne l'un des chefs d'arrêt de la centrale Aurélien Schoumacher, est la visite décennale qui a lieu tous les dix ans. Elle peut embarquer quant à elle entre 15.000 et 20.000 activités sur une durée moyenne de six mois. "Ce qui est un peu plus spécifique sur ces arrêts-là, c'est qu'on fait des modifications qui nous permettent de rehausser le niveau de sûreté de la tranche, explique le responsable. C'est aussi lors de ces arrêts que l'on fait le plus de contrôles sur l'installation et notamment les gros composants du primaire et du réacteur." La prochaine visite décennale de Cattenom débutera dans un mois au sein du réacteur numéro 4.

Une réaction d'ampleur face à la corrosion sous contrainte

Tous ces arrêts sont préparés plusieurs mois à l'avance, parfois jusqu'à un an et demi, afin de réaliser les interventions les plus efficaces possibles le jour J. La vision d'ensemble se traduit par un calendrier qui projette les futurs arrêts sur dix ans et est ajusté en fonction des aléas. Mais un phénomène survenu en pleine crise sanitaire a considérablement perturbé ce calendrier pluriannuel, à Cattenom, mais également dans plusieurs autres centrales de l'Hexagone. La corrosion sous contrainte, ou CSC, a mis à l'arrêt les réacteurs les plus puissants du parc nucléaire français pendant de longs mois. Avec une conséquence chiffrée notable: la production d'électricité nucléaire d'EDF a chuté en 2022 à son plus bas niveau depuis 35 ans.

La corrosion sous contrainte correspond à des fissures d'environ trois millimètres qui ont été découvertes sur le circuit d'injection de sécurité d'un réacteur de la centrale de Civaux fin 2021.
La corrosion sous contrainte correspond à des fissures d'environ trois millimètres qui ont été découvertes sur le circuit d'injection de sécurité d'un réacteur de la centrale de Civaux fin 2021. © Essia Lakhoua

La CSC correspond à des fissures d'environ trois millimètres qui ont été découvertes sur le circuit d'injection de sécurité d'un réacteur de la centrale de Civaux fin 2021. Ce circuit de sauvegarde est particulièrement sensible, car il permet d'introduire de l'eau et d'éviter la surchauffe du réacteur si un accident crée une brèche au niveau du circuit primaire. En concertation avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), EDF a donc décidé de mettre à l'arrêt les réacteurs les plus susceptibles d'être touchés par la CSC, à savoir les plus puissants: les deux paires du palier N4 situées à Civaux et à Chooz et les 12 tranches du palier P'4 parmi lesquelles celles de Cattenom.

"Une phase d'analyses et de compréhension du phénomène nous a amenés à identifier certains initiateurs comme la géométrie des lignes, le type de fluides et les conditions thermo-hydrauliques de circulation du fluide dans les lignes et puis les méthodes de construction des lignes", détaille Nicolas de Vergne, chargé d'affaires.

La dernière étape a ensuite consisté à remplacer les tronçons de tuyauterie touchés ou susceptibles de l'être, occasionnant des arrêts fortuits ou des prolongations d'arrêts pour les réacteurs concernés. A Cattenom, trois des quatre tranches étaient ainsi à l'arrêt au début de l'hiver 2022-2023. Pire, le réacteur numéro 3 a été immobilisé pendant plus d'un an, entre mars 2022 et avril 2023. Il s'agit de la seule tranche de la centrale où le phénomène de CSC a été constaté.

Des chantiers trois fois moins longs

Aujourd'hui, un atelier spécialement dédié au traitement de la CSC prépare les remplacements des tronçons du réacteur numéro 4 de Cattenom lors de sa visite décennale: c'est la dernière des 12 tranches du palier P'4 où ces travaux ne sont pas encore achevés. Depuis le début de la crise de la CSC, EDF a progressé dans l'efficacité de ces interventions: un chantier d'auparavant trois mois est désormais réalisé en un mois. "On voit que les chantiers se faisant les uns après les autres, l'apprentissage, la standardisation de nos méthodes, l'amélioration des compétences ont permis de drastiquement améliorer ces travaux et leur durée", constate Nicolas de Vergne.

"Aujourd'hui, la CSC est un phénomène qui est complètement maitrisé par le groupe EDF."

Alors qu'EDF souhaite vite remonter en cadence de production, la future visite décennale du réacteur numéro 4 de Cattenom va pourtant l'immobiliser plusieurs mois en 2023. "On cadence ces choses-là pour que dans notre objectif au niveau de la centrale, on soit disponible au bon moment sur le réseau pour produire et le bon moment, c'est l'hiver, rassure Aurélien Schoumacher. Les mois de décembre et de janvier sont sensibles et l'arrêt a été calé à partir de mi-février."

Un atelier spécialement dédié au traitement de la CSC prépare les remplacements des tronçons du réacteur numéro 4 de Cattenom lors de sa visite décennale
Un atelier spécialement dédié au traitement de la CSC prépare les remplacements des tronçons du réacteur numéro 4 de Cattenom lors de sa visite décennale © Essia Lakhoua

Passée sous la barre des 20 TWh d'électricité produite en 2022, la centrale a dû renoncer au total à 7 mois de production en l'année dernière à cause de la CSC. Son niveau de production n'est remonté qu'à hauteur de 26 TWh en 2023 mais le directeur du site Jérôme Le Saint ambitionne de renouer avec les 30 TWh dès cette année.

Timothée Talbi avec Essia Lakhoua