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Défense

L'Ukraine face aux difficultés européennes de fournir l'armement nécessaire avant l'hiver

Lors de la conférence annuelle de l'Agence européenne de Défense (EDA) qui s'est tenue à Bruxelles, l'UE a constaté que son économie de guerre restait insuffisante pour aider l'Ukraine à faire face à la Russie.

Pour aider l'Ukraine, l'Europe fait ce qu'elle peut, mais est-ce suffisant? Les industriels de la défense, militaires et responsables politiques de l'UE se sont réunis jeudi à Bruxelles pour aborder ce sujet crucial lors de la conférence annuelle de l'Agence européenne de Défense (EDA). Et le constat est clair: c'est encore insuffisant. Face à l'économie de guerre lancée en Russie, les livraisons à l'Ukraine ne suivent pas la cadence, déplore Kiev, qui craint une offensive brutale cet hiver avec pour principales cibles les infrastructures énergétiques.

Depuis un an, les livraisons d'armement de l'Europe faiblissent et la volonté de soutien n'est plus unanimement partagée. En 2022, les 27 pays de l'UE ont augmenté leurs dépenses militaires en moyenne de 6% à 240 milliards d'euros pour se réarmer et soutenir Kiev. Ces budgets ont représenté en moyenne 1,5% du PIB de l'UE quand l'objectif réclamé par l'Otan est au moins à 2%.

Dans le détail, seulement six pays ont fait grimper leur budget de plus de 10%. Avant la ratification de son adhésion à l'Otan, la Suède a atteint une hausse record de 30%. Pour la France, pour la dernière année de la Loi de programmation militaire 2019-2022, l'augmentation n'a été que de 0,7%.

La Russie en économie de guerre

En face, la Russie a multiplié son budget défense par trois en seulement un an. Son budget militaire est déjà à 30% de son PIB et en 2024, il grimpera encore de 67%. Moscou a même décidé de ponctionner 200 millions d'euros sur la R&D de défense pour produire plus de chars et de munitions, constate l'Agence européenne de Défense (EDA). Selon Kiev, les Russes tirent autour de 60.000 obus chaque jour.

En plus, la Russie bénéficie d'une aide de plus en plus forte de ses alliés iraniens et nord-coréens. En septembre, Pyongyang aurait fourni "plus de mille conteneurs" d’armes et munitions, selon Washington qui redoute qu'en échange Moscou aide cet allié à moderniser ses armées avec des avions de combat et des batteries de défense antiaérienne.

Avec l'Iran, les échanges pourraient être encore plus importants. Téhéran a récemment confirmé un accord pour obtenir de Moscou de quoi moderniser ses forces aériennes avec des Sukhoi Su-35 Flanker-E, des hélicoptères d'attaque Mil Mi-28 et des avions d'entraînement Yak-130. La contrepartie serait des drones kamikazes (Shahed et Mohajer) utilisés pour des offensives en profondeur. Il y a quelques jours, l'armée russe a lancé une offensive sur Kiev avec 75 drones Shahed par vagues successives. L'armée ukrainienne est parvenue à les intercepter au prix d'un affaiblissement drastique de son stock de munitions.

Selon Volodymir Zelensky, Moscou aurait déjà commandé 2000 drones à l'Iran. Mais surtout, un accord entre les deux pays vise à créer en Russie une usine de drones qui devrait entrer en production début 2024.

Cohérence et visibilité

Face à cette puissance, l'Union européenne fait ce qu'elle peut. Elle a déjà fourni 300.000 munitions d'artillerie en ayant recours à ses stocks. L'UE ne cesse de réaffirmer son soutien, mais quelques pays, notamment la Hongrie, rechigne à débourser davantage. Jeudi, le président du Conseil européen Charles Michel a proposé d'avoir recours à des emprunts européens consacrés à la défense.

Autre problème, la cohérence des armements envoyés qui ne sont pas toujours compatibles les uns avec les autres. Lors de la réunion de l'EDA, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a vivement critiqué cette cacophonie. Les forces ukrainiennes utilisent "plus de 200 systèmes différents d'armement", rapportait récemment l'ambassadrice ukrainienne auprès de l'Otan, Nataliia Galibarenko.

Ukraine : la guerre des “drones kamikazes” – 17/10
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De leur côté, les industriels de l'armement sont d'accord pour produire plus, mais réclament de la visibilité, de la cohérence et des contrats. L'UE a mis en place un mécanisme de financement de contrats en commun, pour répondre à la demande ukrainienne, mais les choses n'avancent pas assez vite.

L'UE a promis de fournir un million d'obus d'artillerie à l'armée ukrainienne d'ici mars, mais de l'aveu du ministre allemand de la Défense Boris Pistorius, cet objectif ne sera pas atteint. L'Ukraine "consomme" environ 10.000 drones par mois, a rappelé Ursula von der Leyen, et plus de 400.000 obus de mortier pour la même période, a affirmé de son côté le vice-ministre de la Défense ukrainien, le général Ivan Havryliuk.

Le rêve de Poutine est le cauchemar des Ukrainiens

Pour faire face, l’Ukraine consacrera 50% de ses dépenses à la défense et à la sécurité en 2024, soit 22,1% du PIB. "Toutes nos ressources internes seront utilisées pour résister et vaincre l'ennemi", a déclaré le Premier ministre Denis Chmygal.

Pour que ni le rêve de Poutine, ni le cauchemar des Ukrainiens ne se réalisent, les Etats-Unis et l’Union européenne ont fait des annonces ces derniers jours. Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin s’est notamment rendu à Kiev pour annoncer une nouvelle aide de 100 millions de dollars comprenant, entre autres, des moyens de défense antiaérienne. À ce montant, s’ajoute une enveloppe de 1,3 milliard de l’Allemagne.

Des initiatives indépendantes apparaissent. Un entrepreneur tchèque a lancé une opération de financement participatif sous le nom de "cadeau pour Poutine". Cette cagnotte a déjà réuni 27,5 millions de dollars (23,1 millions d'euros) auprès de plus de 188.000 donateurs, pour l'achat d'un char, d'un lance-roquettes, d'un système de déminage, de drones et de munitions. Le projet vise désormais à acheter un hélicoptère Black Hawk à 4 millions de dollars. Une goutte d'eau qui reste bonne à prendre pour un pays en guerre depuis le 24 février 2022 contre l'une des plus grandes puissances militaires de la planète.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco