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Défense

Guerre en Ukraine: la France a-t-elle enfreint l'embargo sur les ventes d'armes à la Russie?

L'armée ukrainienne a découvert dans des chars russes un système de visée nocturne fourni par Thales. Ce dispositif fait partie d'un contrat conclu en 2013 et couvert par la clause dite du "grand-père". Explications.

La France a-t-elle enfreint l'embargo sur les ventes d'armes à la Russie? Des militaires ukrainiens ont découvert des chars russes équipés d'un système de visée nocturne fourni par Thales, comme le prouve le logo de l'industriel français sur le boitier du dispositif installé dans l'habitacle d'un blindé.

"C'est un boitier authentique et pas une copie. Ce ne sont pas les Russes qui installent ce type de matériel. Il faut être un spécialiste", a déclaré à BFMTV Nikolaï, mécanicien en chef de l'armée de Terre ukrainienne en précisant que l'armée russe dispose de deux viseurs pour tirer de nuit et de jour quand les chars ukrainiens ne peuvent tirer que de jour.

Des livraisons d'équipements entre 2015 et 2020

L'accusation est grave. Depuis le 1er août 2014, suite à l'annexion de la Crimée, l’Union européenne impose un embargo sur les armes à destination de la Russie. Elle avait déjà été dévoilée en mars par le site Disclose qui révélait que la France a livré des équipements de Thales et Safran entre 2015 et 2020.

"Malgré l’escalade militaire avec l’Ukraine, la France a discrètement équipé l’armée de Vladimir Poutine avec des technologies militaires dernier cri. Du matériel qui a contribué à moderniser les forces terrestres et aériennes de la Russie", indiquait Disclose.

Cette accusation repose sur des documents classés "confidentiel-défense" et un rapport au Parlement sur les exportations d’armement. Depuis 2015, la France a délivré au moins 76 licences d’exportation de matériel de guerre à la Russie pour un montant de 152 millions d’euros. Ces contrats portent sur des caméras thermiques pour équiper plus de 1000 chars, mais aussi sur des systèmes de navigation et des détecteurs infrarouges pour les avions de chasse et les hélicoptères de combat.

La clause dite du "grand-père"

Dès la publication de ces informations, le ministère avait réagi. Hervé Grandjean, son porte-parole à l'époque, avait réfuté toute infraction à l'embargo en rappelant que le régime de sanctions mis en place contre la Russie en 2014 contenait une clause permettant aux sociétés européennes d'exécuter des contrats passés avant le 1er août 2014 au titre de la clause dite du "grand-père". Le contrat avec Thales a été signé en 2013.

"La France applique très strictement l’embargo sur les ventes d’armes à la Russie décidé en 2014, suite à l’annexion de la Crimée. Un contrat conclu avant l’annexion de la Crimée peut aller à son terme, et les livraisons d’équipements achetés avant juillet 2014 peuvent être poursuivies", avait expliqué Hervé Grandjean dans un long thread publié sur Twitter.

Selon un rapport parlementaire de 2021, les contrats avec la Russie passés avant l'embargo se sont effectivement poursuivis jusqu'à leur extinction en 2020 et depuis, aucun n'a été conclu, de même qu'aucun autre équipement militaire français n'aurait été été fourni à Moscou. Et selon Thales, les derniers systèmes de visée ont été livrés en 2019.

La clause du "grand père" n'avait néanmoins pas été appliquée pour les deux porte hélicoptères Mistral commandés en 2010 par la Russie pour un montant de 1,7 milliard de dollars. Les livraisons du "Vladivostok" et du "Sebastopol" étaient prévues en 2014 et 2015. Dès l'annexion de la Crimée et le début de la Guerre du Dombass, la France avait annulé la commande créant une forte tension entre Paris et Moscou. Les deux navires ont finalement été vendu à l'Egypte pour 950 millions d'euros.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco