Comment la France a relancé en deux ans la production de poudre pour obus
Réparer en deux ans ce qui a été détruit il y a près de 20 ans. C'est l'objectif, presque atteint, de Sébastien Lecornu, ministre des Armées, avec la relocalisation de la production de poudre propulsive. La production de ce composant essentiel aux obus d'artillerie, notamment ceux de 155 millimètres du canon Caesar, a été, "pour de mauvaises raisons" selon le ministre, abandonnée pour être délocaliser en Suède sur le site d'Eurenco, mais aussi achetée en Allemagne et en Italie.
En deux ans, le site d'Eurenco à Bergerac a été remis sur pied et sera en capacité de produire chaque année 1.200 tonnes de poudre dès 2025 afin de reconstituer les stocks de l'armée française, soutenir l'Ukraine et participer au réarmement de l'Europe. Pour parvenir à cette performance, cette PME héritière de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) créée en 1915, a investi 50 millions d'euros et a bénéficié d'un soutien de dix millions d'euros de la Direction générale de l'armement (DGA).
"L'exemple à suivre"
Cette activité part de loin. Entre 2007 et 2012, la production annuelle de poudre permettait de produire 5.000 obus de 155 mm, avant de chuter à 500 obus par an jusqu'en 2017. L'activité remonte peu à peu désormais et sera en mesure de produire dès l'an prochain 1.200 tonnes de poudre propulsive soit de quoi produire près de 100.000 obus dont 80% pour l'Ukraine.
Le 26 mars, après une conférence de presse sur l'économie de guerre, Sébastien Lecornu s'est rendu sur le site d'Eurenco en Dordogne, pour constater que les travaux lancés en 2022 touchent à leur fin pour cette relocalisation.
"Il aura fallu moins de deux ans pour mettre en place cette usine, d'habitude, on parle de 4 à 5 ans pour monter en capacité", explique à l'AFP Thierry Francou, PDG du groupe public à l'occasion de la visite du ministre.
Pour Sébastien Lecornu, cette relocalisation est l'exemple à suivre. Elle illustre l'économie de guerre réclamée par Emmanuel Macron dès après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
"C'est la vitrine de ce qu'il convient de faire (...) quand il y a une gestion de crise et qu'il faut être un peu imaginatif", se félicite pour sa part Sébastien Lecornu.
Une montée en puissance dès 2026
Dès 2025, Eurenco sera donc en mesure de remplir 500.000 charges modulaires, glissées dans le canon derrière l'obus pour le propulser. Cela correspond à "95.000 coups complets", selon Eurenco. Un "coup complet" est constitué d'un obus, fabriqué en France par Nexter, et de charges modulaires propulsives produites par Eurenco. En fonction de la distance à atteindre -40 kilomètres pour un canon Caesar-, il faut jusqu'à six charges modulaires par obus tiré.
Cette productivité s'appuie sur une extrême modernisation de l'usine. La ligne de production est entièrement automatisée et fonctionne 24h/24 tous les jours de l'année. Seuls six techniciens la supervisent derrière des écrans de contrôle. Dans un bâtiment, un robot se saisit d'un boîtier gris arrivant sur un tapis, le remplit de gros granulés de poudre propulsive, appose un allumeur et colle un couvercle.
"C'est comme en pharmacie, au gramme près", explique Fabrice Faure, coordinateur de production.
Une deuxième ligne est déjà en fonction et, sur un terrain vague adjacent, Eurenco installera une troisième ligne de production de charges modulaires en 2026. De quoi passer de 500.000 à 1,2 million de charges produites annuellement. Car loin des seuls besoins français, Eurenco est un maillon crucial de l'industrie munitionnaire européenne, fournissant aussi bien Nexter que l'allemand Rheinmetall, le polonais PGZ ou le tchèque CSG. Son carnet de commandes est rempli jusqu'en 2030.