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Avions, chars, hélicoptères: où en sont les futurs programmes d'armement franco-allemands?

Emmanuel Macron et Olaf Scholz le 10 mars 2022.

Emmanuel Macron et Olaf Scholz le 10 mars 2022. - Ludovic MARIN / AFP

La France et l'Allemagne sont partenaires et concurrents avec des divergences géostratégiques sur la question de la souveraineté. Un point sur le Scaf, le MGCS et le Tigre MkIII, les trois grands programmes franco-allemands.

La guerre en Ukraine aura-t-elle des conséquences sur les programmes d'armement lancés par la France et l'Allemagne. Les deux pays travaillent ensemble sur le Scaf (système de combat aérien du futur), le char du futur MGCS (Main Ground Combat System) et la modernisation de l'hélicoptère Tigre au standard MkIII.

Ces trois programmes restent sous tension. Si les deux pays semblent prêts à unir leurs moyens, les industriels concernés traînent des pieds pour défendre leurs technologies et leurs marchés.

"La France à une industrie de défense, l'Allemagne a une défense de l'industrie", a même lancé un élu spécialiste des questions de défense.

Le retour d'expérience de la guerre en Ukraine a également eu un impact. Ces programmes prévus à partir de 2035, voire 2040, seront-ils menés à terme en cas de besoins urgents d'armements, et donc de financement, prêts immédiatement pour le combat?

Le Scaf, l'avion du futur, prêt au décollage

Pour l'avion du futur, le projet est en bonne voie. Doté d'un budget de 3,2 milliards d'euros répartis entre la France, l'Allemagne et l'Espagne, ce programme vise à remplacer les Rafale français et Eurofighter allemands et espagnols à horizon 2040.

Les trois états partenaires (France, Espagne, Allemagne) ont débloqué un budget pour la phase 1B qui doit aboutir à présenter un démonstrateur en 2029. Après de longs mois de discussions très tendues, les deux industriels au cœur du programme (Dassault et Airbus) sont récemment parvenus à un accord pour le partage des tâches. Le lancement officiel de la phase industriel démarrera le 20 mars prochain avec 2000 techniciens en Europe dont 800 chez Airbus.

Au cœur du Scaf (Système de combat aérien du futur), le NGF, Next Generation Fighter, l'avion de combat européen de 6e génération
Au cœur du Scaf (Système de combat aérien du futur), le NGF, Next Generation Fighter, l'avion de combat européen de 6e génération © Dassault Aviation

L'affaire est si prometteuse en termes de modernisation de défense aérienne, de souveraineté européenne et sans doute de retombées économiques, que d'autres pays de l'UE pourraient monter à bord du Scaf. Avec d'autres pays, ce programme évalué à un total de 100 milliards d'euros pour alléger la facture pour les pays partenaires.

Le retour des Belges

Lors d'une audition au Sénat, Sébastien Lecornu, ministre des Armées a soutenu l'élargissement des coopérations au sein de l'Europe.

"On en a besoin pour amoindrir la facture pour le contribuable français. Il ne faut s'interdire aucune collaboration. Je note que pour le Scaf, certains pays européens qui regardaient ailleurs, peuvent se rapprocher de nous. Les choses bougent", a déclaré aux sénateurs le ministre.

Le 24 janvier, lors d'une conférence de presse, l’amiral Michel Hofman, chef de la Défense belge, s'est dit favorable à entrer dans le programme Scaf.

"Il y a une volonté politique très forte d’essayer de rejoindre le programme SCAF", a déclaré l'amiral belge selon un article de La Libre Belgique.

Selon la presse belge, ce projet serait soutenu par la ministre belge de la défense Ludivine Dedonder qui "souhaite tout mettre en place pour que la Belgique et ses entreprises prennent place à bord du programme".

Le char du futur MGCS face aux "plans B"

Le char du futur MGCS (Main Ground Combat System) qui doit remplacer le Leopard 2 allemand et le char Leclerc français dès 2040 est également en bonne voie. Enfin... presque.

Sur le papier, le programme avance. En novembre dernier, après des mois de blocage qui laissaient envisager l'abandon du projet lancé en 2017, les industriels français et allemand, Nexter et Rheinmetall, ont trouvé un accord sur la répartition des tâches.

L'Allemagne et la France travaillent sur un nouveau char, le Main Ground Combat System (MGCS) pour remplacer le Leopard 2 et le Leclerc
L'Allemagne et la France travaillent sur un nouveau char, le Main Ground Combat System (MGCS) pour remplacer le Leopard 2 et le Leclerc © Nexter

En attendant le MGCS, la France modernise ses chars Leclerc pour les rendre compatibles avec le programme Scorpion pour le combat collaboratif. Mais pour le ministre des Armées, cette mise à jour "ne pourra pas nous emmener sur de nombreuses décennies, il nous faudra avoir une solution sur ce segment". Elle repose sur le programme MGCS qui semble bien plus urgent que le Scaf.

"Nous aurons besoin d'un char avant, calendairement, l'avion du futur", a déclaré Sébastien Lecornu lors de son audition par la commission défense du Sénat en ajoutant que "quoi qu'il arrive, il nous faudra un avion et un char".

Le plan B de Rheinmetall

De son côté, Rheinmetall a déjà lancé un plan B. Dès 2022, sur le salon Eurosatory, l'industriel a dévoilé le KF-51 Panther développé sur fonds propres. Ce char ultramoderne s'affiche comme un possible successeur du Leopard 2, rôle dévolu au MGCS.

"Dans toute l’Europe, environ 1000 des 8000 chars de combat seront remplacés d’ici 2030. Avec notre nouveau Panther, nous voulons livrer au moins la moitié de ce volume, soit environ 500 unités", prévoit Armin Papperger, PDG de Rheinmetall dans un entretien rapporté par le site Opex360.

L'industriel se dit même prêt à livrer les premiers Panther en 2025.

Le KF-51 a été présenté en 2022 sur le salon français Eurosatory
Le KF-51 a été présenté en 2022 sur le salon français Eurosatory © Emmanuel DUNAND

Ce projet n'a pas été approuvé par Berlin qui doit donner son accord pour vendre de l'armement à l'étranger. Rien n'est fait, mais l'inquiétude est réelle sur le programme franco-allemand comme l'a exprimé le sénateur Cédric Perrin le 28 février lors de l'audition du ministre des Armées.

"Ce que veulent le chancelier et les ministres ne correspond pas toujours à ce que veulent les industriels. (...) Et parfois, les industriels (allemands) ne sont pas d'accord entre eux", a réagi Sébastien Lecornu.

Le ministre fait référence à Krauss-Maffei Wegmann (KMW), partenaire de Nexter dans le programme MGCS pour lequel ils ont créé la co-entreprise KNDS. En réponse au plan B de Rheinmetall, KNDS a dévoilé le sien: l'EMBT (Euro Main Battle Tank) créé à partir d'un châssis de Leopard 2A7 et d'une tourelle de Leclerc.

Hélicoptère: le Tigre MkIII, démodé avant l'heure?

Le cas du Tigre MkIII est le programme le plus fragile. Il s'agit d'une modernisation du Tigre pour l'adapter au combat collaboratif et le prolonger jusqu'en 2050. Ce projet ambitieux sur les plans financiers et technologiques a été lancé au départ entre la France, l'Allemagne et l'Espagne. Il y a tout juste un an, Berlin a décidé de ne pas moderniser ses 53 Tigre pour peut-être les remplacer par des Apache américains de Boeing. Une demande d'informations (Request for Information, RFI) a été déposée par Berlin.

Paris et Madrid doivent donc se répartir à deux le programme de 4 milliards d'euros: 2,8 milliards d'euros pour 42 hélicoptères français et 1,2 milliard pour les 18 hélicoptères espagnols. La France dispose de 67 appareils, mais l'absence de participation de Berlin au programme conduit à des surcoûts qui ne permettent de ne moderniser qu'une partie de la flotte. Les 25 appareils restants "seront modernisés plus tard, mais ils le seront", nous avait à l'époque confirmés le ministère des Armées. Ce budget serait de l'ordre de 1,5 milliard d'euros.

 le programme prévoit "une modernisation en profondeur des systèmes de l'hélicoptère" comprenant notamment un nouveau système de visée conçu par Safran
le programme prévoit "une modernisation en profondeur des systèmes de l'hélicoptère" comprenant notamment un nouveau système de visée conçu par Safran © Airbus Helicopters

Mais le 28 février dernier, lors d'une audition au Sénat, le ministre des Armées semble moins affirmatif sur le programme tant sur le plan technologique que financier.

"L’hélicoptère Tigre continuera de voler jusqu’en 2040, 2045. Mais j'ai demandé aux armées, comme l'ont fait d'autres pays européens, si le standard 3 correspond bien à ce que l'on veut technologiquement", a déclaré le ministre.

Il soulève la "question des drones" en demandant si "on n’aura pas un super hélicoptère déjà démodé?" "La question n'est pas médiocre, j'assume de la poser publiquement", ajoute le ministre.

Sébastien Lecornu soulève aussi la "soutenabilité économique" du programme. "Si l’hélicoptère est génial mais qu’on ne peut qu’en acheter seulement quelques-uns et qu'on aura des difficultés à l'exporter, c'est une difficulté.

"Je n'interroge pas le principe du standard 3, mais le modèle tel qu'il existe aujourd'hui".

Pour trancher sur la question, le ministre a chargé les armées et la DGA en lien avec les industriels de mettre à jour le programme ou de le faire évoluer. "Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, c’est juste une bonne nouvelle qu’il faut adapter".

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco