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De plus en plus d'entreprises attaquées et condamnées pour préjudice d'anxiété

La plupart des salariés attribuent le stress ressenti à la charge de travail qu'ils doivent supporter

La plupart des salariés attribuent le stress ressenti à la charge de travail qu'ils doivent supporter - caio Triana - Pixabay - CC

D'abord réservé aux salariés travaillant dans le secteur de l'amiante, le préjudice d'anxiété peut aujourd'hui être invoqué dans bien plus de cas. Le nombre de procédures explose provoquant l'inquiétude des entreprises.

Renault Trucks, EDF, Baccarat, Boch, Saint-Gobain..., les entreprises industrielles condamnées pour préjudice d'anxiété envers leurs salariés sont de plus en plus nombreuses.

Il s'agit pour la justice de reconnaître ou pas l’existence d’un préjudice psychologique, consistant à vivre dans la crainte de développer une maladie quand on est un salarié exposé dans son travail à des substances toxiques.

Au départ, les choses étaient simples, il s'agissait de couvrir le préjudice spécifique de salariés travaillant dans des établissements fabriquant des produits à base d'amiante listés par arrêté en 1998. Il suffisait alors de déclarer travailler pour une de ces entreprises pour être dédommagé. La discussion portait alors sur le montant du dédommagement.

Elargissement infini

Une grande partie des condamnations d'entreprises pour ce préjudice concerne ce risque de développer une maladie à cause de cette exposition à l'amiante.

Ainsi, en septembre 2020, 264 anciens salariés de Baccarat ont été indemnisés à hauteur de 9000 euros chacun pour ce préjudice tout comme 387 anciens salariés d’une usine Bosh qui ont obtenu 8000 euros chacun suite à une décision de la cour d’appel de Douai. Chez Renault Trucks, ce sont 1200 salariés qui entendent obtenir réparation...

Mais les tribunaux ont commencé à élargir le champ d'application de ce préjudice. "Pour des raisons d'équité, la cour de Cassation a élargi le nombre d'entreprises concernées toujours dans le domaine de l'amiante", nous l'explique Benoit Charot, Avocat associé et responsable contentieux pour le cabinet Reed Smith (dont les clients sont des entreprises attaquées pour ce préjudice).

Avant d'aller encore plus loin en septembre 2019 à travers une décision historique de la chambre sociale de la Cour de cassation. Elle a considère que le salarié qui justifiait d’une exposition à toute substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété résultant d’une telle exposition, pouvait agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Bombe à retardement

Cette extension quasi infinie porte "désormais à n'importe quelle exposition à des matières toxiques comme le goudron ou le benzène, en fait toute exposition susceptible d'entraîner à terme une maladie grave" résume l'avocat. Des mineurs en Lorraine exposés à diverses substances dans les mines ont ainsi obtenu 10.000 euros chacun en janvier dernier.

De quoi créer une véritable petite bombe à retardement pour les entreprises. "Cela a ouvert une brèche à de nombreuses actions et c'est le cas. Des associations sont très actives et regroupent les dossiers qui sont déclaratifs et qui ne nécessitent pas d'expertise", précise Benoit Charot.

L'absence d'expertise facilite en effet la multiplication des procédures, souvent groupées, d'autant plus que "face à ces procédures de masse, certaines cours d'appel allègent la charge de la preuve ce qui conduit à une sorte de forfaitisation de l'indemnisation, autour de 8000 euros par salarié", ajoute le conseil.

Pour les entreprises ce risque juridique devient donc très élevé "car la cour de Cassation a ouvert le champ d'application du préjudice d’anxiété et que les cours d'appel penchent sur des décisions forfaitaires dans des dossiers multiples sans preuves", affirme Benoit Charot.

Le risque de burn-out comme préjudice d'anxiété?

Illustration avec le covid qui suscite des procédures. Même si démontrer un préjudice d'anxiété s'avère délicat dans le cas de cette maladie, des risques indirects pourraient être mis en avant.

"Avec le covid, on voit arriver de nouveaux dossiers. Une action pour préjudice d'anxiété a peu de chance d'aboutir car avec le covid on attrape vite la maladie ou pas, si par exemple quelqu'un est malade dans le bureau. L'anxiété est de courte durée contrairement aux maladies qui se développent bien après l'exposition du salarié, le préjudice ne peut s'appliquer que sur un risque long", explique le spécialiste.

"Par contre, la généralisation du télétravail peut par exemple entraîner un risque psychosocial et donc une maladie professionnelle. Un salarié peut faire valoir une angoisse si certains de ses collègues sont victimes de burn-out consécutifs à cette nouvelle organisation.", ajoute-t-il... Or, les burn-out ont tendance à exploser ces derniers temps, notamment chez les cadres.

Etre proactif

Pour les entreprises attaquées, les contre-mesures sont assez limitées, concède Benoit Charot. "Nous préconisons aux entreprises de mobiliser les polices d'assurance, on se base sur l'exposition et on va chercher la police qui couvrait l’employeur au moment de l'exposition de son salarié. Toutes les polices excluent aujourd’hui le risque amiante, celles en vigueur au moment de l’exposition ne le faisaient pas et l’on peut donc les mettre en œuvre sur la base du fait générateur soit l’exposition. Pour des expositions à d’autres substances, elles peuvent être mobilisées même si cela est contesté par les assureurs".

Mais l'avocat conseille surtout aux entreprises de se blinder proactivement "en identifiant précisément les risques. En démontrant que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour palier à ces risques car tout défaut sera condamné. Et en mettant en place des protocoles qui constituent autant de preuves d'absence de faute".

Et de confirmer que la questioin commence à sérieusement angoisser les directions: "nos clients nous interrogent de plus en plus sur ces problématiques".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business