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Daniel Kretinsky, nouveau visage incontournable du capitalisme français

En à peine quelques mois, le milliardaire tchèque a élargi son portefeuille en France avec les rachats d'Editis, Casino (qui doit encore être finalisé) et désormais une moitié d'Atos. Daniel Kretinsky est désormais inévitable dans quasiment tous les secteurs.

Incontournable. Avec le rachat des activités historiques d'Atos, acté mardi, Daniel Kretinsky signe sa troisième acquisition d'envergure en trois mois, après le rachat d'Editis et celui de Casino, qui reste à finaliser. Un succès inédit qui installe désormais l'homme d'affaires tchèque -visage massif, lunettes rectangulaires et vague air de Daniel Craig, l'acteur de James Bond- parmi les piliers du capitalisme français après cinq années difficiles où il a essuyé de multiples revers.

Échec au Monde, succès dans l'énergie

Quadra très discret, décrit comme un bourreau de travail à l'intelligence vive, le milliardaire a massivement investi en France dans les médias, la distribution, l'industrie et désormais l'informatique avec Atos, sans qu'on cerne encore bien sa stratégie globale.

Daniel Kretinsky a pourtant eu du mal à s'imposer dans le milieu des affaires français. L'homme s'est fait connaitre lorsqu'il a débarqué au capital du journal Le Monde, il y a cinq ans. Malgré ses ambitions, il se retrouve bloqué par Xavier Niel et la rédaction du quotidien. Même s'il a fini par obtenir une part du capital du quotidien, il n'exerce pas d'influence sur sa gestion. Un abordage contrarié qui terni sa réputation, notamment dans l'establishment des affaires.

Mais Kretinsky rebondit immédiatement dans l'énergie, secteur où il a bâti sa fortune en République Tchèque (8,5 milliards d'euros actuellement, selon Forbes). S'il a rêvé d'entrer au capital d'Engie ou de participer à son démantèlement, il n'a pu racheter que deux centrales à charbon dans les Bouches-du-Rhône et en Moselle, via sa société EP Holding.

Investissements tous azimuts

Depuis, le milliardaire a investi dans les médias (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Franc-Tireur, Le Monde, TF1...), la distribution (Fnac Darty, dont il est le premier actionnaire, et Casino, dont il est candidat à la reprise avec d'autres alliés, après avoir essuyé deux échecs par le passé) et l'industrie (essentiellement dans l'énergie).

"Il est très ambitieux et dynamique, quand on voit ce qu'il arrive à faire à son âge…", souffle, admiratif, un acteur de la distribution qui échange régulièrement avec lui.

Même s'il investit tous azimuts, "ça n'est pas du tout un capitaliste désincarné", assurait il y a quelques mois à l'AFP Jean-Michel Mazalerat, président de GazelEnergie, producteur d'électricité détenu par Kretinsky via l'énergéticien tchèque EPH.

"Sa grande caractéristique, c'est de s'entourer d'équipes très jeunes et de grands professionnels", ajoutait Jean-Michel Mazalerat, en louant ses "méthodes de management modernes" et sa volonté "d'investir pour sortir du charbon".

Tous secteurs confondus, certains observateurs jugent sa stratégie d'investissements erratique. Une position que ne partage pas l'acteur de la distribution qui échange régulièrement avec lui.

"Peut-être que toutes les informations ne sont pas publiques", glisse cette source à l'AFP. "Ce n'est pas toujours la ligne droite qui permet d'arriver où on veut aller".

Kretinsky possède en outre une institution du football tchèque, le Sparta Prague, et est actionnaire du club anglais de West Ham.

Un magnat des médias discret

Unanimement décrit comme "extrêmement intelligent" et comme un investisseur avisé, le Tchèque a aussi une réputation de gros travailleur, qui envoie des messages à ses collaborateurs à 02h du matin. Ce francophile, qui a étudié à Dijon, "parle un français remarquable", selon un interlocuteur régulier. Mais ses prises de parole publiques sont rares.

Une discrétion qui a pu engendrer des craintes, notamment dans l'univers des médias. Mais "il n'est pas du tout interventionniste, on fait exactement ce qu'on veut", déclarait récemment à l'AFP Caroline Fourest, directrice du magazine Franc-Tireur. Elle n'a que très peu croisé Kretinsky, qui lui laisse l'impression d'un homme "poli et discret".

En plus de ses investissements classiques dans les médias, le magnat a renfloué Libération à hauteur de 15 millions d'euros en septembre, sans pour autant entrer au capital. Et là encore sans tenter d'intervenir sur le contenu. Selon le directeur de "Libé", Dov Alfon, "toutes ses promesses de nous laisser tranquilles ont été tenues".

À l'inverse, pendant la présidentielle d'avril 2022, la société des rédacteurs de Marianne avait dénoncé une "ingérence" de Kretinsky après une Une se positionnant clairement contre Marine Le Pen. La direction de la rédaction avait démenti.

Une jeunesse sous régime communiste

Reste à savoir ce qui pousse ce milliardaire aux convictions réputées libérales et pro-européennes à investir dans la presse.

Sous le régime communiste, sa génération "a beaucoup souffert de l'absence de liberté dans les années 80. Alors, quand il déclare qu'il investit pour la liberté de la presse, je le crois très sincère", selon Jean-Michel Mazalerat.

Kretinsky est né en 1975 à Brno, la deuxième plus grande ville de République Tchèque. Son père, Mojmir Kretinsky, était professeur d'informatique et sa mère, Michaela Zidlicka, enseignait le droit (elle a été juge à la Cour constitutionnelle tchèque entre 2004 et 2014). Son beau-père, Vladimir Zidlicky, qu'il considère comme un deuxième papa, est un photographe d'art célèbre pour ses nus mêlant onirisme et érotisme.

Après avoir eu un fils avec une avocate, Kretinsky est en couple avec la cavalière Anna Kellnerova, 26 ans, fille du plus riche milliardaire tchèque, Petr Kellner, mort dans un accident d'hélicoptère en 2021.

Clément Lesaffre avec AFP