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Atos paie-t-il le prix d'une mauvaise gestion ou de mauvaises acquisitions?

Le groupe a encaissé une perte de 3,4 milliards d’euros en 2023 essentiellement due à des dépréciations comptables. Atos solde les acquisitions passées de son ancien PDG, Thierry Breton.

Atos tire un trait sur son passé. Hier, le groupe de services informatiques a publié une perte historique de 3,4 milliards d’euros dont 2,5 milliards d’euros proviennent de dépréciations d’actifs. Dit autrement, Atos a revu en forte baisse la valeur de ses activités, notamment dans le cloud, le conseil ou la cybersécurité. Cette branche, baptisée "Eviden", accuse 2 milliards d’euros de perte de valeur au bilan du groupe. Ils résultent de la succession de rachats de société comme Syntel, Xerox, ou les activités informatiques de Siemens mené entre 2010 et 2018 par l’ancien PDG, Thierry Breton.

Selon ses comptes détaillés, près d’un milliard d’euros (970 millions) de ces pertes comptables sont enregistrés aux Etats-Unis où Atos est essentiellement présent par sa filiale Syntel. C’est le symbole des "années Breton". Cette société a été rachetée à la suite d’une OPA de 2,9 milliards d’euros fin 2018. "Syntel a été payé beaucoup trop cher", tranchent plusieurs cadres actuels du groupe. Un milliard d’euros de trop, reconnaît désormais le groupe dans ses comptes. Déjà, en 2021, cette acquisition avait été provisionnée à hauteur de 883 millions d'euros.

Interrogé, l'entourage de Thierry Breton réfute toute responsabilité du commissaire européen. "Rien n'avait été déprécié après son départ entre 2020 et 2022, explique un de ses proches. Si, cinq ans après, les commissaires aux comptes l'ont souhaité, c’est uniquement car l’entreprise n’est désormais plus gérée depuis plusieurs semestres".

"C’était l’époque de la croissance à tout va", se remémore l’un de ces cadres.

A l’époque, c’est l’apogée d’Atos qui vient d’entrer au CAC et vaut 10 milliards d’euros en Bourse. Thierry Breton vient de réaliser trois grandes acquisitions: les activités informatiques de l’Allemand Siemens en 2010, celles de l’Américain Xerox, Bull en 2014 et Syntel quatre ans plus tard. L’autre milliard d’euros de perte comptable provient des activités en Europe de Siemens, et en Asie.

L’an passé, son successeur a, pour la première fois, pointé du doigt la responsabilité de Thierry Breton. "Le succès du cours de bourse d'Atos dans les années 2010 était en réalité le fruit d'une politique d'acquisitions et d'une forte croissance externe qui a été réalisée avec une sélectivité discutable ou insuffisante et de la signature de contrats dont la rémunération était trop faible au regard des coûts", avait déclaré Bertrand Meunier, président d’Atos entre 2019 et 2023, dans un entretien à La Tribune en septembre dernier.

L'ancien PDG joue sur les mots

Interrogé à plusieurs reprises, Thierry Breton a toujours balayé ces critiques d’un revers de main.

"Atos n’avait aucune dette quand j’ai quitté l’entreprise", a-t-il défendu devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef) le mois dernier.

En novembre 2019, Thierry Breton devient commissaire européen et quitte ses fonctions. Lundi dernier, il a même insisté: "l’entreprise avait un endettement net nul", a-t-il précisé sur France Info lundi dernier. Ce que son entourage a tenu à réitérer à BFM Business: "La dette nette à mi-2020 était nulle et bénéficiait d'une note BBB+ auprès de l'agence S&P" précise un de ses proches.

Mais à y regarder de près, l’ancien PDG joue sur les notions de dette "nette" et de dette "brute", celle-ci étant loin d’être inexistante. Fin 2019, elle atteignait 5,4 milliards d’euros. Mais cette année-là, Thierry Breton a réalisé 2,3 milliards d’euros de ventes d’actions de Worldline, la filiale de paiement d’Atos. De telle sorte que ce cash a permis de réduire la "dette nette" à -1,7 milliard d’euros (dette moins la trésorerie). Pourtant, un an plus tôt, Atos avait reconnu dans ses comptes que son "endettement net s’élevait à 2,9 milliards d’euros en raison du montant payé pour l’acquisition de Syntel".

La cession de Worldline pour financer le rachat de Syntel

Les propos de l’ancien PDG d’Atos sont formellement exacts mais reflètent une situation exceptionnelle grâce à la vente des actions Worldline. Cette stratégie a d’ailleurs continué après son départ. Trois mois après, en février 2020, Atos a cédé pour 1,5 milliard d’euros de titres supplémentaires, ce qui n’a pas suffi à compenser toute la dette brute. "La cession des actions Worldline a permis de rembourser de la dette d'acquisition comme annoncé lors de l’acquisition de Syntel", ajoute l'entourage de Thierry Breton.

Et pour cause, Atos ne pouvait pas s'endetter plus qu'il ne l'était. Cette croissance tous azimuts a profité à Thierry Breton. Lors de sa prise de fonction à la Commission européenne, il a été contraint de vendre ses 508.085 actions Atos qu’il détenait fin 2018 pour un peu plus de 40 millions d’euros, avant impôts avait-il précisé à l’époque. Son entourage ajoutant qu’il avait été taxé à hauteur de 62%. L’action du groupe qu’il dirigeait alors valait un peu plus de 70 euros contre 1,7 euro aujourd’hui. Une valorisation qui reflétait, selon les proches de Thierry Breton, sa bonne gestion de l’entreprise.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business