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Test de résistance européen: pourquoi la dernière place des banques françaises doit être relativisée

Les résultats du dernier "stress test" réalisé par l'Autorité bancaire européenne et la BCE confirment la capacité des banques à résister à un choc économique majeur. Les établissements français arrivent toutefois en queue de peloton.

Les banques européennes sont-elles assez solides pour faire face à une crise économique majeure? C'est ce que cherche à savoir l'Autorité bancaire européenne (ABE) à travers son traditionnel test de résistance. Les résultats du dernier exercice, auquel participaient 70 établissements couvrant environ 75% des actifs bancaires de l'Union européenne, ont été dévoilés vendredi. Et ils sont plutôt rassurants, bien que les banques françaises arrivent en dernière position.

Le scénario utilisé pour ce "stress test" prévoyait notamment une "aggravation sévère de la situation géopolitique" et "une hausse des prix des matières premières", des événements de nature à faire baisser le produit intérieur brut (PIB) européen de 6% en trois ans. A cela s'ajoutait une hausse de 6,1 points du taux de chômage, une baisse plus lente que prévu de l'inflation, une chute des prix de l'immobilier et un effondrement des actions en Bourse.

496 milliards d'euros de pertes

L'ABE a mené ce test alors que le secteur bancaire a été secoué en mars par de vives turbulences qui ont ravivé le spectre de la crise bancaire de 2008. Résultat, "malgré des pertes cumulées de 496 milliards d'euros (dans un scénario de crise, NDLR), les banques européennes restent suffisamment capitalisées pour continuer à soutenir l'économie", a résumé le régulateur.

La Banque centrale européenne (BCE), qui a réalisé ce test de résistance auprès d'un échantillon un peu plus large que l'ABE, en a tiré les mêmes conclusions. Neuf établissements sont toutefois tombés sous les minima de fonds propres exigés par la BCE.

Pour mesurer la capacité d'une banque à résister à un choc économique d'ampleur, le test de résistance se concentre sur le ratio CET1 (Common Equity Tier 1). Celui-ci correspond au rapport entre les fonds propres "durs", constitués d'actions, de bénéfices non distribués et d'autres réserves, soit les fonds fonds propres "de qualité la plus élevée" selon la BCE, et les actifs de la banque pondérés en fonction des risques.

Les banques françaises en bas du classement

Avec le choc simulé par les régulateurs, bien plus sévère qu'en 2021 lors du test précédent, le ratio de fonds propres "durs" passerait pour l'ensemble du secteur bancaire européen de 15,2% à 10,4%, niveau équivalent à celui d'il y a deux ans, globalement considéré acceptable par les superviseurs.

L'ABE a aussi noté une amélioration de la qualité des crédits des banques par rapport au test de 2021, ainsi que des bénéfices plus importants, permettant aux établissements de résister à un crise bien plus importante.

Ce niveau de 10,4% constitue toutefois une moyenne, les banques de quatre pays tombant sous la barre des 10%: celles de l'Espagne, des Pays-Bas, de l'Allemagne et de la France. Les banques françaises terminent même à la dernière place, avec un ratio de fonds propres durs de 9,15% à l'issue de ces trois années de turbulences.

Les spécifités du modèle français pas prises en compte

Faut-il pour autant s'inquiéter pour les banques tricolores? Non, assure un expert du secteur qui souligne les limites de l'exercice et regrette que le stress test ne tienne "pas pleinement compte des spécificités du modèle français". Ce modèle, c'est celui des crédits immobiliers essentiellement à taux fixes, lesquels limitent mécaniquement les marges d'intérêts des banques en période de hausse des taux, mais permettent de contenir le coût du risque de la banque de détail dans un environnement dégradé.

Dans le compte-rendu de son test de résistance, la BCE le dit noir sur blanc, expliquant que, dans un scénario défavorable, "les banques présentant une part plus importante de prêts à taux variables bénéficient davantage d'un relèvement des taux d'intérêt que celles qui misent principalement sur les prêts à taux fixe".

Or du fait de la conception de l'exercice, le risque de défaut de remboursement dans l'Hexagone reste semblable à celui de banques étrangères adeptes des taux variables.

En cela, "les banques françaises sont doublement pénalisées par l'exercice", affirme le spécialiste du secteur interrogé par BFM Business.

D'après lui, le système français sur l'activité de banque de détail est dans les faits très résilient, la gestion du risque de taux étant internalisée par les institutions bancaires et les crédits immobiliers bénéficiant pour la plupart de mécanismes de cautionnement mutuel.

"Les banques françaises sont très peu risquées", contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture non avisée des résultats de l'exercice.

Sans compter que la méthodologie de l'exercice pénalise les établissements français via le renchérissement de l'épargne réglementée, autre spécificité de l'hexagone. Si le coût de cette épargne suit théoriquement les fluctuations macroéconomiques (notamment la hausse des taux monétaires à court terme et l'inflation) "on voit bien que dans les faits, le gouvernement français suit un corridor de rendement compris entre 50 et 300 points de base pour le taux du Livret A, de façon à ne pas déstabiliser les banques commerciales collectrices ou la Caisse des dépôts et Consignations", selon cet expert.

C'est ainsi que le taux du Livret A et du LDDS a été maintenu à 3%, alors qu'il aurait dû dépasser les 4% en appliquant la formule de calcul classique. Or, par principe de conservatisme, le stress test ne rend pas pleinement compte de ce type de mesures, surestimant ainsi le coût des sommes collectées sur le Livret A et LDDS, dont une part significative de la rémunération reste à la charge des banques.

La Banque Postale se dit "robuste"

Dans le stress test, la moyenne tricolore de 9,15% est surtout plombée par La Banque Postale, qui termine l'exercice avec un ratio à 0,05%. alors que les autres établissements évalués obtiennent des résultats plus honorables: 8,19% pour Société générale, 8,35% pour BNP Paribas, 9,92% pour BPCE, 9,94% pour Crédit Agricole et 11,43% pour Crédit Mutuel.

La Banque Postale s'est défendue dans la foulée de la publication de ces résultats en assurant avoir un "profil de risque robuste". Elle a surtout rappelé qu'"à la suite d'une prise de contrôle à 100% de CNP Assurances en 2022, les activités d'assurance représentent environ 60%" de son bilan, ce qui induit "une sensiblité supérieure de la solvabilité à certains chocs de marchés".

Pour La Banque Postale, cette particularité fait qu'il serait plus judicieux d'utiliser la norme dite IFRS 17, qui "reflète mieux la réalité économique des passifs d'assurance", pour évaluer sa résistance. Avec cette norme, la banque aurait vu son ratio reculé non pas à 0,05% mais à 6,8%.

En outre, "compte tenu du modèle d'affaires de La Banque Postale dont les activités reposent principalement sur la banque de détail avec une large base de dépôts et de prêts à taux fixes, certaines des hypothèses comme la rémunération des dépôts à vue des particuliers, non appliquée en France, ont des impacts plus particulièrement significatifs", poursuit la banque.

"Les banques françaises sont suffisamment capitalisées"

De son côté, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, gendarme français du secteur, a estimé que "compte tenu de ces hypothèses prudentes et de ce scénario macroéconomique et financier particulièrement dégradé, les résultats des tests de résistance permettent de confirmer la résilience du système bancaire français dans son ensemble du fait d'une bonne capacité d'absorption du choc".

Cela "montre que les banques françaises sont suffisamment capitalisées pour continuer à soutenir l'économie, même dans des conditions particulièrement dégradées", souligne pour sa part la Fédération bancaire française (FBF).

Deutsche Bank, dont la santé a, par le passé, inquiété, conclut le test à 8,08% de fonds propres durs. La banque italienne Monte dei Paschi di Siena, qui avait terminé l'exercice précédent avec des fonds propres négatifs de l'ordre de -0,10%, a cette fois fait bien mieux: 10,13%.

Ce test n'est pas toutefois conçu pour déterminer si telle ou telle banque a réussi ou échoué. En revanche, les données récoltées serviront aux superviseurs bancaires européens pour évaluer les besoins en capitaux des banques sous leur surveillance ces prochains mois. L'exercice a débuté fin janvier, juste avant que le secteur bancaire ne soit bousculé au premier trimestre par la faillite d'établissements américains et le rachat en urgence de Credit Suisse par UBS.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco