BFM Business
Assurance Banque

Ces menaces qui planent sur les banques européennes en cas de forte récession

Photo prise en septembre 2011 d'agences des banques Crédit Agricole et BNP Paribas.

Photo prise en septembre 2011 d'agences des banques Crédit Agricole et BNP Paribas. - PATRICK KOVARIK / AFP

[AVIS D'EXPERT] Si la remontée des taux permet pour l'instant aux banques d'améliorer leurs marges, une récession pourrait peser davantage sur certains établissements, en particulier en Europe. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

La Global Banking Annual Review de McKinsey est un document toujours très consulté. Et ce sera sans doute particulièrement le cas de sa dernière et récente livraison 2022, alors que les banques se sont rarement aussi bien portées, dans un contexte cependant très instable, avec de forts signaux récessifs.

De cette situation, la Global Banking Annual Review 2002 prend acte. Du fait de l’amélioration de leurs marges avec la remontée des taux (cela explique 60% de la hausse de leurs revenus), les banques, à travers le monde, ont retrouvé un rendement de leurs capitaux propres (ROE) entre 11,5% et 12,5%, contre 10% en 2021. A 14% ou 15% de leurs encours, leurs ratios de fonds propres réglementaires sont plus élevés que jamais. Toutefois, plus de la moitié des banques au plan mondial ont toujours un ROE inférieur au coût de leurs fonds propres, tandis que 15% d’entre elles affichent un ROE qui dépasse de plus de 4% le coût de leurs fonds propres. Dans ces conditions, la valorisation des banques dans leur ensemble demeure faible. Le secteur bancaire est l’un des moins bien valorisés par les marchés financiers.

Ainsi, tandis que les taux devraient demeurer élevés, préservant les marges des banques mais alors que pointent des risques de récession, McKinsey annonce une grande divergence entre établissements. Certains s’en sortiront bien mieux que les autres et consolideront leurs parts de marché à leur détriment.

Montée en puissance des fintechs

Par ailleurs, la moitié seulement de la valorisation boursière du secteur financier est désormais représentée par les institutions bancaires traditionnelles, tandis que les établissements spécialisés et les fintechs représentent l'autre moitié, contre 30% il y a cinq ans. McKinsey en tire que la spécialisation par métiers et produits, qui est le modèle que suivent les fintechs, va s’accroitre. Renforçant encore la grande divergence entre établissements annoncée.

Le problème est que McKinsey annonce ainsi la "banque éclatée", c’est-à-dire la fin du modèle multi-métiers de banque universelle, depuis près de… trente ans. En 2021 encore, sa Global Banking Annual Review citait en exemple Klarna, le spécialiste européen du paiement fractionné, aujourd’hui mis en difficulté par la remontée des taux et qui tente d’élargir ses offres pour y échapper.

Ces dernières décennies, face aux crises, le modèle de banque universelle a certainement fait la preuve de sa résilience. Toutefois, la divergence entre établissements que pointe McKinsey est bien réelle. De sorte que si une spécialisation des banques devait intervenir, sans doute concernerait-elle moins les activités et les produits que d’autres éléments. Deux d’entre eux sont particulièrement soulignés dans la Global Banking Annual Review: la géographie et la segmentation des clientèles.

"Nous constatons que le lieu d'activité principal d'une banque représente 68% de sa valorisation, une part qui n'a cessé d'augmenter depuis 2014". C’est un fait: certains marchés sont plus durablement porteurs que d’autres, qu’ils soient émergents (Inde, Indonésie, Mexique, Afrique du Sud) ou non (Etats-Unis, Canada). En regard, en tous cas, l’Europe parait clairement à la traîne. En 2021, seulement 25% des 300 plus grandes banques européennes ont accru leur valorisation. Et si, pour 2023, McKinsey prévoit que les ROE moyens puisse s’effondrer à 7% en cas de récession sévère, cela concernerait tout particulièrement les banques européennes (6%).

A cet élément géographique s’en ajoute un autre, structurant: dans la banque de détail, les revenus concernent de plus en plus des segments spécifiques de clientèle. Par exemple, aux États-Unis, les revenus bancaires culminent chez les personnes âgées de 60 à 70 ans, soit environ 40 ans après le pic démographique. En Chine, la tendance est inverse: le pic de revenus arrive 20 ans avant le pic démographique.

Grand écart en fonction des clients

La divergence entre établissements pourrait ainsi largement dépendre de leur capacité à mieux servir les segments de clientèle à la croissance la plus rapide et les plus rentables. Aux États-Unis, note McKinsey, au cours des 15 dernières années, les revenus des ménages à revenu moyen et faible ont considérablement diminué. Un ménage américain moyen génère désormais environ 2700 $ de revenus bancaires par an (coût du risque pris en compte), tandis qu'un client bien diplômé, âgé de 35 à 55 ans et disposant d'un revenu annuel supérieur à 100.000 $, en génère quatre fois plus (11.500 $).

Les petites et moyennes entreprises représentent un cinquième (environ 850 milliards de dollars) des revenus bancaires annuels mondiaux, un chiffre qui devrait augmenter de 7 à 10% par an au cours des cinq prochaines années. Cependant, les bénéfices des banques positionnées sur ce segment varient considérablement, en partie en raison de la qualité très variable des risques. Dans ces conditions, investir pour offrir une excellente expérience client s’avère difficile et de nombreuses banques ne donnent plus la priorité aux PME. Cela fait d’ailleurs le succès de certaines néo-banques spécialisées.

A partir de ces différents constats, un scénario peut être imaginé, que McKinsey ne formule pas mais qu’il invite à considérer: et si, de plus en plus, des banques européennes, peu rentables en moyenne, se retrouvaient concurrencées par des établissements étrangers disposant de bien plus de moyens, sur leurs meilleurs segments de clientèle?

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor