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Le géant européen du paiement fractionné Klarna mis en grande difficulté par la remontée des taux

Klarna s'est développé très rapidement dans le paiement en plusieurs fois

Klarna s'est développé très rapidement dans le paiement en plusieurs fois - OVRI

[AVIS D'EXPERT] Le modèle économique de Klarna reposait sur des taux bas. Le groupe est contraint de lever de nouveaux fonds et de licencier 10% de ses effectifs. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Klarna. Pourtant, à travers de grandes enseignes, plus d’un million de Français ont déjà utilisé ses services pour payer leurs achats en plusieurs fois. Klarna, c’est le plus stupéfiant succès de la fintech européenne. Créée en 2005, en Suède, l'entreprise valait 5,5 milliards de dollars en 2019. Début 2022, après un investissement massif de Softbank, sa valorisation atteignait 45,6 milliards de dollars, dépassant, de loin, celle de la plupart des grandes banques européennes. Tout semblait alors possible et Klarna annonçait, confiante, viser une valorisation de 60 milliards de dollars, sans doute à travers une introduction en Bourse… aujourd’hui prudemment reportée.

Car rien ne va plus ! Klarna vient d’annoncer le licenciement de 10% de ses 6.500 employés. Elle cherche à lever des fonds mais sur la base d’une valorisation revue à la baisse à 30 milliards de dollars, selon des sources proches du dossier citées par Bloomberg (une valorisation toutefois contestée par Klarna). Ses deux principaux concurrents ne vont pas mieux. L’américain Affirm, malmené en Bourse, a vu son cours être divisé quasiment par deux ces trois derniers mois. L’australien Afterpay vient d’être racheté par Square.

Depuis le début de l’année, les marchés sont fébriles et les nuages noirs s’accumulent. Aussi rapidement que le paiement fractionné se développait, les concurrents sont apparus. Les banques notamment ont vite réalisé qu’il ne s’agissait, après tout, que d’un simple crédit à la consommation. Avec l’accroissement fulgurant des volumes – aux Etats-Unis, en une seule année, Klarna a triplé son volume d’affaires, gagnant 25 millions de clients – les risques et les pertes ont suivi. Klarna affirme qu’ils sont de 25% à 30% inférieurs à ceux enregistrés en moyenne dans le secteur du crédit à la consommation. Mais il a été noté qu’aux Etats-Unis les ménages les plus financièrement fragiles ont quatre fois plus recours au paiement fractionné (ou "Buy Now, Pay Later” soit BNPL) que les autres, via l'ensemble des plateformes qui proposent ce type de service. Cela soulève l’attention des autorités réglementaires. Pourquoi les plateformes de paiement fractionné échapperaient-elles à certaines contraintes prudentielles qui pèsent sur les organismes classiques de crédit? Les facilités de paiement que ces plateformes accordent ne sont même pas enregistrées avec les autres crédits des particuliers qui les utilisent.

"Dans certains pays, les services de BNPL sont déjà réglementés. De plus, les règles européennes actuelles du crédit à la consommation datent de 2008, avant le développement de la plupart des acteurs du BNPL. C'est pourquoi les régulateurs britanniques ou européens ont pour ambition d'inclure ces services dans leur cadre réglementaire", souligne Klarna auprès de BFM Business.

Une offre difficile à concurrencer pour les banques

Devançant ainsi l’appel, en quelque sorte, Klarna vient de prendre d’elle-même la décision de communiquer aux deux principales agences de notation de crédit britanniques les informations concernant les transactions de ses clients et leur comportement en matière de remboursement. Pour autant, Klarna – qui a enregistré des pertes en 2019, 2020 et 2021* – pourrait-elle se plier aux contraintes qui frappent les banques? C’est une question essentielle, qui concerne en fait l’ensemble de la fintech et le modèle économique que les nouveaux acteurs financiers ont généralement suivi jusqu’ici. Et la réponse est: non!

*Dans une première version de cette contribution, il était indiqué à tort que le groupe Klarna n'avait enregistré que des pertes depuis sa création. Or, Klarna a bien dégagé un résultat net positif au moins de 2011 à 2018, selon les documents financiers disponibles du groupe. Ainsi, Klarna a dégagé un résultat net positif de 105 millions de couronnes suédoises (soit 10 millions d'euros) en 2018 et de 345,6 millions de couronnes suédoises (32,9 millions d'euros) en 2017 par exemple.

Nous l’avons dit, le succès de Klarna a été fulgurant: 147 millions de clients dans de nombreux pays, sur deux continents et 400.000 commerces utilisant ses services. La valorisation atteinte, soulignée ci-dessus, a pu paraître excessive. Mais quelle banque aujourd’hui peut se targuer d’une telle assise internationale et d’une telle dynamique de développement? Klarna a été porté par une solution aussi simple qu’utile, capable d’apporter aux commerces de 15% à 25% de volume d’affaires en plus: payer ses achats en plusieurs fois sans intérêts ; soit la généralisation à un plus grand nombre de clients des facilités d’une carte de crédit, en les payant nettement moins cher.

Une offre difficile à concurrencer pour les banques mais qui reposait sur l’acceptation de lourds investissements et un financement notamment assuré par des investisseurs – d’où ces levées de fonds faramineuses, qui haussaient chaque fois la valorisation. C’est un phénomène que bien d’autres nouveaux acteurs de la tech ont connu. "Le modèle de Klarna repose sur un modèle où les revenus proviennent notamment des commerçants partenaires qui payent un pourcentage sur la transaction effectuée", précise de son côté à BFM Business Klarna.

Victime de la remontée des taux

C’était là comme une course: en profitant d’avantages concurrentiels sur les acteurs traditionnels, il fallait au plus vite s’imposer sur le marché et diversifier l’offre. Klarna s’y est activement employée, à travers plusieurs acquisitions et le développement de nouveaux services (jusqu’à une option de… paiement intégral immédiat!).

Oui mais il faut parler de tout cela au passé. Car tout cela reposait en définitive sur la faiblesse des taux d’intérêt. Que ceux-ci remontent et tout s’enraye pour Klarna. Car si l’appétence des investisseurs est réduite, le modèle qui a permis de faire fortement concurrence aux banques ne permet justement pas un refinancement des encours aux taux du marché, surtout s’il s’agit de supporter un coût du risque croissant et de faire face à l’inflation. Klarna ne va pas s’effondrer mais, à sa façon, Klarna annonce peut-être la fin des entrepreneurs de la tech qui depuis des années, à la faveur de la Bourse et des fonds d’investissement, alors que l’argent ne valait rien, se retrouvaient milliardaires sans avoir jamais en réalité gagné un dollar!

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor