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Après Lagardère, Vincent Bolloré prépare déjà son nouveau raid

L’homme d’affaires a pris 5% du capital de Rubis. La société pétrolière souffre d’un faible cours de Bourse et d’une gouvernance fragilisée. Deux autres actionnaires lui emboitent le pas.

Vincent Bolloré s’ennuie depuis qu’il a confié les rênes de son empire à ses enfants. Certes, il est encore aux manettes, à échafauder des meccanos qu’il affectionne tant. L’an passé, il s’est occupé en découpant Vivendi en quatre avec Canal+, Havas, Lagardère et une kyrielle de participations avec lesquelles il va jouer au banquier. Cette scission est lancée depuis janvier et déjà, il a un nouvel os à ronger.

En l'occurrence Rubis, une petite société pétrolière, discrète et sous-valorisée, qu’il connaît depuis longtemps. Vincent Bolloré s’est invité fin mars dans l'entreprise en prenant 5% de son capital. Depuis 30 ans, le groupe Bolloré est un acteur du stockage et de la distribution de pétrole en France, comme Rubis, son concurrent. Mais il n’est pas le seul à avoir flairé le bon coup.

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Deux investisseurs dépassent aussi les 5%

24 heures après Vincent Bolloré, l’homme d’affaires Patrick Molis lui a emboîté le pas en dépassant à son tour les 5%. Une position qu'il avait préparée depuis plusieurs mois, comme Vincent Bolloré. Lui aussi a détenu pendant 15 ans des terminaux pétroliers, notamment au Havre, quand Rubis détenait ceux de Rouen et Dunkerque.

Rebelotte la semaine passée avec un troisième investisseur. Le canadien Ronald Sämann est lui aussi monté à 5% du capital de Rubis, alors qu’il en détenait déjà 4,8% depuis plusieurs années. Une position destinée à déclarer ses intentions. Il souhaite "un changement dans la stratégie et une évolution de la gouvernance dans une période où elle doit assurer la succession de son fondateur", a-t-il expliqué.

"Cette concordance n’est pas un hasard", veut croire un bon connaisseur du dossier.

Contactés, Rubis et le groupe Bolloré n’ont pas souhaité commenter. Un silence étonnant alors que, selon nos informations, aucun des trois investisseurs n’a été sollicité par la direction.

Succession des deux gérants de Rubis

Depuis l’arrivée de Vincent Bolloré, le cours de Bourse de Rubis a bondi de 30%. Une maigre consolation alors que l’action a été divisée par deux en cinq ans. La société ne vaut plus que 3,5 milliards d’euros en Bourse, pour sept milliards d’euros de chiffre d’affaires et 263 millions de bénéfices. L’autre grand actionnaire, la famille Dassault (5,7%), se réjouit.

"Nous ne sommes pas à la manœuvre mais nous sommes ravis que cela valorise nos parts", explique une source proche de la famille.

Les Dassault ne sont pas en terrain inconnu. Laurent Dassault est administrateur de Vivendi, aux côtés des Bolloré. Son grand-père, Marcel Dassault, avait investi dans Rubis dès sa création pour aider son fondateur Gilles Gobin.

Habitué des raids, Vincent Bolloré a repéré les mêmes failles que Patrick Molis et Ronald Sämman: la gouvernance de Rubis est très fragile. Les deux gérants, Gilles Gobin et Jacques Riou n’ont que 2,3% du capital mais contrôlent tous les pouvoirs grâce à une structure en commandite par action. Ce statut juridique est encore utilisé chez Hermes et Michelin. Jusqu’en 2021, il l’était également chez Lagardère avant qu’il n’explose sous la pression de… Vincent Bolloré.

Les gérants de Rubis sont en train de passer la main à leurs enfants. Clarisse Gobin gère la commandite avec son père, âgé de 74 ans, et Jacques Riou, 72 ans, souhaite aussi que ses deux enfants lui succèdent. "On arrive à une fin de cycle à tous les étages chez Rubis, explique Olivia Flahaut, co-fondatrice d’OFG, une société d’analyse en gouvernance. Au sein de la gérance et aussi du conseil de surveillance où six administrateurs ont plus de 70 ans."

Faire sauter le statut de commandite

Vincent Bolloré, Patrick Molis et Ronald Sämman ont le même objectif à court terme: s’imposer au conseil de surveillance. Quatre des dix sièges sont à pourvoir à l’assemblée générale du 11 juin, dont celui du président. Rubis publiera ses résolutions fin avril.

"Ils vont tous logiquement demandés à être représentés au conseil, explique une source proche du dossier. Et à eux trois, ils n’auront pas de mal à s’imposer à l’AG."

Même s’ils assurent ne pas agir ensemble, ils disposent à trois de 15%, à quoi s’ajoutent les 5,7% des Dassault et 5,8% du gestionnaire américain Blackrock. Avec 25%, ce "petit club" imposera sa loi à l’assemblée générale, où seule la moitié des actionnaires s’exprime.

"La fin de la commandite est la suite logique pour beaucoup d’investisseurs", ajoute Olivia Flahaut d’OFG. "Aucun doute que ce sera le but de Vincent Bolloré", s’amuse un de ses proches qui l’a aidé à faire sauter celle de Lagardère. "Ça fait partie des options", ajoute sobrement un actionnaire.

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Le plus vocal est Ronald Sämman qui avait déjà critiqué la stratégie de Rubis lors de l’assemblée générale de 2023, notamment pour le rachat de Photosol, spécialisé dans le photovoltaïque. Il avait aussi pointé du doigt les conditions d’attribution des bonus de 2,4 millions d’euros des gérants. Les actionnaires avaient ensuite manifesté leur mécontentement vis-à-vis de la gouvernance. L’ancien président Olivier Heckenroth n’avait été renouvelé qu’à 59% des votes et avait démissionné dans la foulée en raison de cette faible majorité.

Bolloré était déjà chez Rubis il y a 30 ans

Selon nos informations, Ronald Sämman et Patrick Molis envisagent d’entrer au conseil de surveillance de Rubis. Quant aux Dassault, leur représentante Carole Fiquemont a démissionné l’an passé. Reste à savoir si Vincent Bolloré s’imposera. Peut-être une revanche de l’histoire alors qu’il en a déjà été administrateur… il y a 30 ans.

Au début des années 1990, Gilles Gobin et Jacques Riou ont repris une filiale de Suez pleine de cash qu’ils ont rebaptisé Rubis. Lorsqu’ils l’ont introduite en Bourse en 1995, ils ont nommé deux administrateurs reconnus pour les aider: un certain Vincent Bolloré donc, et Marc Ladreit de Lacharrière qui venait de créer sa société d’investissement Fimalac. Il venait aussi d’aider un autre jeune homme d’affaires, Jean-Charles Naouri, futur patron de Casino, à lancer la sienne, Euris, où avait exercé Jacques Riou.

"Tous ces crocodiles du capitalisme se connaissent parfaitement", s’amuse une source qui les connait tous.

Et ils se retrouveront tous à l’assemblée générale de Rubis le 11 juin autour de la même table.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business