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Aéronautique

Qu'est-ce que le TCAS, ce système qui a empêché une collision entre deux avions au-dessus de la Somalie?

Le "Traffic Collision Avoidance System" qui équipe tous les avions de ligne a certainement permis d'éviter des centaines de mort samedi 24 février alors qu'un Airbus A350 et un Boeing 787 ont failli se percuter de face au-dessus de la Somalie.

Une grave catastrophe aérienne a été évitée. Ce samedi 24 février, un Airbus A350-900 d'Ethiopian Airlines effectuant un vol entre Addis-Abeba (Éthiopie) à Dubaï (Émirats arabes unis) a failli percuter en plein ciel un Boeing 787 de la compagnie Qatar Airways reliant Doha à Entebbe en Ouganda. L'incident a eu lieu au-dessus du golfe d'Aden.

En cause, une erreur du contrôle aérien somalien. "Le vol de Qatar Airways a été informé à tort par les contrôleurs à Mogadiscio de grimper à 40.000 pieds" alors qu'il volait à 38.000 pieds, explique l'Aviation civile somalienne qui a lancé une enquête sur cet incident.

Les deux appareils se sont retrouvés à la même altitude, se faisant face, ce qui ne doit jamais arriver. Mais le système anticollision TCAS (Traffic Collision Avoidance System) qui équipe les avions de ligne a alerté les pilotes qui ont effectué les manœuvres permettant d'éviter la catastrophe. Comment a été inventé ce dispositif et comment fonctionne-t-il?

En finir avec une série de catastrophes

Dans les années 1950, une série d'accidents meurtriers dans le ciel américain (notamment celui de Grand Canyon en 1956: 128 morts), causés par des collisions d'avions, incite le régulateur américain (la FAA) à mobiliser l'industrie aéronautique afin de concevoir un dispositif permettant d'éviter ce type d'incident.

Faute d'une technologie adéquate, il faudra attendre les années 1970-1980 et deux autres graves accidents (en 1978, un avion léger et un avion de ligne se heurtèrent au-dessus de San Diego et en 1986 entre un DC-9 d’Aeromexico et un avion privé au- dessus de Cerritos en Californie) pour accélérer ce programme.

De nombreuses versions d’instruments de prévention sont alors proposées, débouchant sur le TCAS tel qu’il existe aujourd’hui. Les premiers sont installés sur certains avions de ligne au début des années 1990.

L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) l'impose alors pour les avions de plus de 5.700 kg ainsi que pour ceux qui sont autorisés à transporter plus de 19 passagers.

Aujourd'hui, c'est la version 2 du TCAS qui est utilisée dans les avions de ligne de la planète.

Comment ça marche?

Schématiquement, le TCAS fonctionne en détectant les autres avions dans son espace et en fournissant des alertes et des instructions de manœuvre aux pilotes (prendre de l'altitude ou au contraire en perdre) pour éviter les situations dangereuses.

Le dispositif interroge les transpondeurs embarqués dans chaque avion qui envoient des signaux radar permettant de connaître l’altitude et la position de l’appareil (informations alors visualisées sur un instrument de bord dédié).

L'instrument de bord du TCAS
L'instrument de bord du TCAS © Wikipedia

Il analyse ces données et évalue la trajectoire prévue de chaque avion. Il faut donc que ces transpondeurs soient activés pour que le TCAS puisse fonctionner.

Il détermine plusieurs zones autour de l’appareil en fonction de sa vitesse. Le TCAS ne réagit pas en termes de distance mais de temps (ou volumes) avant une collision potentielle. Il s'active avec 2 minutes d'avance lorsque deux appareils ont des trajectoires convergentes.

Lorsque ce système perçoit un danger de proximité, une première alerte sonore et visuelle retentit dans le cockpit pour alerter les pilotes.

Les zones d'alerte (ou volumes) du TCAS
Les zones d'alerte (ou volumes) du TCAS © Wikipedia

Deux types d'alerte existent. Le Traffic Advisory (TA) ou Alerte de trafic: le TCAS détecte un autre avion à proximité (à 40 secondes), émet une alerte pour signaler aux pilotes la présence de trafic potentiel. Il fournit alors des informations sur la position et l’altitude de l’avion détecté.

Le Resolution Advisory (RA) ou Conseil de résolution s'active si le TCAS estime qu'il y a un risque de collision dans un délai court (25 secondes), si deux appareils volent par exemple à la même altitude et se font face. Le dispositif donne alors des instructions vocales de manœuvre sur le plan vertical (altitude) pour éviter la collision. Le pilote a l'obligation de suivre ces instructions.

Si les deux appareils sont dotés du TCAS, celui-ci agit alors de manière coordonnée entre les deux appareils en situation de danger. Si celui du premier appareil ordonne aux pilotes de prendre de l'altitude, le second ordonne à l'équipage d'en perdre.

Le dispositif agit de manière indépendante du contrôle aérien, ce qui permet aux pilotes d'agir plus rapidement et/ou en cas d'absence de communication radio ou radar avec la tour de contrôle la plus proche.

La future version 3 du TCAS permettra en plus de faire une manœuvre latérale (droite gauche).

La collision aérienne d'Überlingen: quand le TCAS est victime du contrôle aérien

Si le TCAS fonctionne indépendamment du contrôle aérien, celui-ci peut néanmoins intervenir auprès des pilotes lorsqu'il perçoit sur ses radars un danger imminent. Et c'est là que ça se complique.

Les contrôleurs peuvent alors donner des ordres contradictoires de ceux donnés par le TCAS. C'est ce qui s'est passé le 1er juillet 2002 lorsqu'un Tupolev Tu-154 de la compagnie russe Bashkirian Airlines et un Boeing 757 cargo opérant pour l'allemand DHL se sont percutés au-dessus de l’Allemagne près d'Überlingen.

Le bilan est lourd: les 69 passagers de l'avion russe perdent la vie, dont 52 enfants qui revenaient d’un voyage en Espagne, tout comme les deux membres d'équipage du Boeing qui ne transportait que des marchandises.

L'enquête officielle du Bureau fédéral allemand d'enquête sur les accidents aéronautiques (BFU) est sans appel. Ce sont bien les ordres contradictoires et les lacunes du contrôle aérien suisse chargé du secteur concerné qui sont en cause.

Concrètement, moins d'une minute avant l'accident, le contrôleur contacte le pilote russe et lui ordonne de descendre de 1.000 pieds afin d'éviter la collision avec l'avion allemand. L'avion russe entame sa descente mais quelques secondes après, le TCAS lui ordonne l'instruction inverse (prendre de l'altitude) alors que le pilote allemand recevait de son TCAS l'instruction de descendre.

Si le pilote allemand suit l'instruction de son TCAS, son homologue russe s'en tient aux instructions du contrôle aérien, qui maintient son ordre. Les deux appareils effectuent donc la même manœuvre de descente et finissent par se faire face et se percuter.

Depuis cette collision, l'OACI demande aux pilotes de suivre systématiquement les instructions de leur TCAS quand celui-ci déclenche une alerte d'évitement.

Outre les 71 victimes, ce drame fera encore un mort. Le contrôleur aérien en cause a en effet été assassiné par un père de famille russe qui a perdu sa femme et ses deux enfants dans l’accident.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business