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A Séville, l'Europe spatiale cherche à sortir de la crise

Réunis en Espagne dès ce lundi, les chefs de gouvernement européens devront définir les ambitions du continent sur le marché du spatial, et trouver une issue à la crise actuelle des lanceurs.

"Il faut que les chefs d'Etats et de gouvernements se réveillent". Au micro de BFM Business le 16 septembre dernier, Hélène Huby, la fondatrice de la start-up franco-allemande The Exploration company, ne cachait pas ses attentes en évoquant le Sommet spatial européen prévu un mois et demi plus tard.

Alors que la start-up venait de décrocher un gros contrat avec Axiom, le fabricant américain de la première station spatiale commerciale, pour une mission de transport de fret, la dirigeante déplorait que son premier client ne soit pas européen. Elle plaidait alors pour un changement urgent de stratégie de l'Europe spatiale et présentait la réunion qui s'ouvre ce lundi 6 novembre à Séville comme un rendez-vous crucial.

Comme elle, tous les acteurs du secteur sont tournés ce lundi vers la ville andalouse où se tient le Sommet pendant 48 heures. Il faut dire que celui-ci intervient à un moment où l’industrie spatiale européenne fait plus que jamais grise mine.

Une année noire pour l'Europe spatiale

L’année 2023 a en effet été ponctuée par une série de déconvenues. En évoquant le domaine des lanceurs le 8 février dernier lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), Josef Aschbacher, évoquait déjà "une situation difficile, pour ne parler de crise".

Depuis février, la situation ne s’est guère améliorée avec la fin de carrière d’Ariane 5 en juillet et les retards de ses successeurs: Ariane 6 et Vega-C. Initialement prévu en 2020, le premier vol d'Ariane 6 devrait avoir lieu en 2024. Quant à Vega-C, la fusée de l'Italien Avio, après l'échec de son deuxième lancement, elle ne devrait reprendre le chemin de l'espace qu'au quatrième trimestre 2024, a annoncé l'Agence spatiale européenne (ESA) début octobre. Résultat: l’Europe affiche un bilan de trois lancements seulement pour cette année 2023. À titre de comparaison, SpaceX a effectué 63 vols depuis le début d'année.

L'absence d'alternatives en matière de lanceurs

Et comme un épilogue de cette série noire, l’Agence spatiale européenne confiait, le 23 octobre dernier, le lancement des quatre prochains satellites du système de navigation européen Galileo, censé concurrencer le GPS, à l’américain SpaceX et son lanceur Falcon 9. Et même si cet accord doit encore être validé par Bruxelles, il illustre à lui-seul l'absence d’alternatives dont dispose désormais l’Europe -renforcé par le boycott des lanceurs russes Soyouz- et donc le sérieux coup porté à l’indépendance spatiale européenne.

Si l’avenir devrait s’éclaircir dès qu’Ariane 6 sera opérationnelle -la fusée made in Europe reprendra à terme les lancements de satellites Galileo et s’occupera de mettre en orbite les satellites d’Amazon-, les origines du mal semblent plus profondes encore. Le continent n'a pour le moment pas su prendre le train du "New Space" et devra pour rattraper son retard probablement accepter de consacrer un budget plus important au développement de son industrie spatiale.

La place des acteurs privés

"L'Europe devrait augmenter considérablement son niveau d’investissement public pour stimuler le financement privé, pour garantir que l'Europe protège sa position géostratégique ainsi que ses intérêts dans l'espace et pour faire partie des opportunités de marché dans le futur", recommande le rapport "Revolution Space" présenté en mars à l’ESA. L'objectif affiché dans le rapport étant "de capter un tiers des 1000 milliards d’euros que représentera le marché spatial mondial à l’horizon 2040".

Mais le montant de l'investissement financier n’est pas la seule question qui sera abordée à Séville ce lundi. Les dirigeants européens devront également s'accorder sur la place donnée aux acteurs privés.

"C'est impossible de ne pas voir que le changement majeur dans l'espace au cours de ces dernières décennies a été l'émergence de nouvelles entreprises aux modèles économiques agressifs comme ceux de SpaceX", pointent les experts ayant rédigé le rapport.
Les Français du NewSpace en pleine effervescence – 05/10
Les Français du NewSpace en pleine effervescence – 05/10
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Un cadre favorable à la concurrence

Et pour favoriser l'émergence de ces acteurs privés, c'est probablement une refonte plus profonde de son organisation qui attend l'Europe spatiale. Selon les auteurs du rapport, elle "doit transformer profondément ses processus en construisant un cadre qui favorise une véritable concurrence entre les entreprises européennes, et l’émergence de nouveaux acteurs". Le rôle joué outre-Atlantique par la Nasa et le département américain de la Défense en décidant d'externaliser certaines missions auprès d'entreprises privées comme SpaceX, a été, de ce point de vue-là, déterminant.

Un modèle que l’Allemagne devrait défendre à Séville auprès de ses homologues français et italiens, plus frileux sur cette question. Et le rendez-vous pris par la start up allemande Isar Aerospace sur la toute nouvelle base norvégienne Andøya Space pour propulser prochainement son Spectrum pourrait bien l'aider à renforcer son argumentaire.

Nina Le Clerre