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Vie de bureau

"Aux parents de se débrouiller": les salariés sans enfant se rebellent pour être en congés à Noël

Dans le public ou dans le privé, l'attribution des congès de Noël est souvent l'objet de tensions entre collègues, notamment entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n'en ont pas. Si beaucoup de parents trouvent normal d'avoir la priorité sur les vacances, d'autres salariés remettent en question ce principe "injuste".

Qui travaillera à Noël cette année? Tous les ans à l'heure des fêtes de fin d'année, cette épineuse question revient sur la table des entreprises et des services publics, au risque de susciter quelques crispations entre collègues.

D'un côté, des parents pour qui il est essentiel de poser des congés, notamment pour pouvoir s'occuper de leurs enfants pendant la période de fermeture des écoles et des crèches. De l'autre, des salariés qui en ont marre de se voir "doubler" chaque année alors qu’ils aimeraient, eux aussi, pouvoir passer Noël en famille.

"Ça me choque toujours autant que certains pensent que, parce qu’ils ont des enfants, ils devraient être prioritaires sur les vacances", écrivait une internaute, Margaux, début décembre sur X (ex-Twitter), suscitant d'intenses débats entre internautes.

"Je comprends qu’on ait envie d’être avec ses enfants à Noël", poursuivait-elle, dans ce message vu plus de 3 millions de fois. "Mais les gens qui n’ont pas d’enfants ont aussi des familles..."
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"On n'est pas orphelins pour autant"

Et elle est loin d'être la seule à trouver "désuète" cette idée. "La vie privée doit rester la vie privée", défend Laurie, ingénieure informatique dans une entreprise basée à Suresnes (Hauts-de-Seine). "À l'embauche, on martèle qu'on ne doit pas être pénalisé pour nos choix de vie et nos situations personnelles et familiales... Et bien je ne vois pas en quoi c'est différent dans ce cas-là. Je considère que ça doit s'appliquer dans la vie de bureau", explique cette femme de 40 ans, qui n'a pas d'enfant à charge.

"Ça donne un peu l'impression que la vie privée des salariés sans enfant compterait moins que les autres", abonde Laurianne, rédactrice web de 37 ans à Lille.

"Ne pas avoir d'enfants ne veut pas dire ne pas avoir de vie: on n'est pas orphelins pour autant", rétorque-t-elle.

La trentenaire refuse de faire systèmatiquement passer sa vie privée au second plan, malgré la pression sociale pour fonder une famille. "À ce moment-là ce serait trop facile: certaines personnes pourraient être pénalisés toute leur carrière parce qu'elles n'ont pas d'enfants", défend-elle.

Pas de priorité aux parents dans le Code du travail

Que dit la loi? "Il n’y a aucune disposition dans le Code du travail qui donne la priorité aux salariés ayant des enfants pour l’ordre de prise des congés", tranche Me Éric Rocheblave, avocat en droit du travail, interrogé par BFM Business.

D'après l’article L3141-15 du Code du travail, la période de prise des congés et l’ordre de départ des salariés pendant cette période sont fixés par un accord d’entreprise, une convention ou un accord de branche. En l'absence de règles, c'est à l'employeur de prioriser, en tenant compte des éventuelles autres activités professionnelles de leurs salariés, de leur ancienneté et de la "situation de famille" de chacun.

"Où on place la limite?", s'interroge Laurie. "Comment on est censés choisir entre un bébé qui va fêter son 1er Noël mais qui ne s'en souviendra pas de toute façon et un collègue qui a deux enfants de 5 et 10 ans? Ou d'un collègue qui doit prendre soin d'un parent âgé?"

"Je sais par exemple que si c'était le dernier Noël à passer avec mes grands-parents, j'aimerais bien qu'on me le laisse", appuie-t-elle.

Aux parents de se "débrouiller"?

Pour les parents, le problème "n'est pas Noël" en soi mais plutôt le mode de garde des enfants en cette période de fermeture des crèches et écoles, rétorque une internaute qui a pris part au débat sur les réseaux sociaux. "On ne sait pas quoi faire des enfants si on est pas en vacances en même temps" qu'eux, développe-t-elle.

Mais dans le débat lancé sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes opposés à une priorité accordée aux parents les appellent à "assumer" et à s'organiser en conséquence. A l'instar de Jordy, qui écrit sur X que "les gens qui ont des enfants (...) l'ont voulu (...) donc à eux de se débrouiller quand tout ferme".

"Justement, pour moi, se débrouiller ça passe par le fait de poser ces jours de congès à ce moment-là pour pouvoir être avec ses enfants", répond Charlotte, une professeure de 37 ans installée à Strasbourg. Ces journées ne sont pas des cadeaux".

"C'est dans l'intérêt de l'enfant plus que dans un intérêt personnel", poursuit Sabrina, responsable commerciale dans une start-up à Paris et mère d'une fillette de 5 ans. "C'est du bon sens. On parle de quelque chose de basique comme prendre soin d'enfants, ce n'est pas un privilège pour les parents mais une nécessité, surtout pour ceux qui sont isolés ou n'ont pas de moyens de garde."

Cette femme de 35 ans défend un principe de solidarité entre les générations, et regrette que certains "veuillent mettre au ban" ou "faire regretter leur choix" aux salariés qui ont des enfants. "C'est à croire qu'ils n'ont jamais été enfants eux-même", déplore cette jeune mère de famille.

"Plus jeunes, ils ont sans doute eu la chance de profiter de leurs parents, ou du moins ils auraient aimé. C'est ce dont méritent tous les enfants. Nos enfants ne sont pas des veaux qu'on va parquer dans un endroit pour s'en débarasser. On veut profiter avec eux, qu'ils aient des souvenirs", développe encore Sabrina, qui rappelle que ces enfants sont "les adultes de demain".

"Cette solidarité, c'est un principe de base de la société pour moi: du bon sens comme on aiderait le plus pauvre, le plus vulnérable. C'est l'ADN même de la société française, mais à force de s'américaniser à l'extrême, on perd tout ça..."

Pour réconcilier tout le monde, Laurianne, interrogée plus haut, adopte une position plus nuancée. "Je ne veux pas non plus avoir un discours de grosse égoïste", insiste-t-elle. "Quand c'est possible, je suis du genre à faire l'effort de temps en temps pour mes collègues... Mais je trouve que les employeurs ne doivent pas appliquer ce principe bêtement."

Laurie, elle, est plutôt favorable aux roulements entre collègues - une année sur deux, sans considération des différentes situations familiales. Pour éviter de pénaliser systématiquement les salariés sans enfant.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV