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Travail: comment la semaine de 35 heures a conquis l'Islande

Le petit pays nordique avait lancé une grande expérience pour vérifier si la productivité se maintenait malgré la réduction du temps de travail. Aujourd'hui, 86% des travailleurs travaillent moins qu'auparavant - ou y ont droit.

"Pour s'en sortir il faut travailler moins! Vous diriez ça à vos enfants ?" En plein débat sur les 35h, Alain Madelin faisait circuler des camions avec ce slogan pour s'opposer à la réforme décidée par la gauche. 20 ans plus tard, les Islandais ont clairement répondu par l'affirmative. Le petit pays a choisi de moins travailler et, pour cela, il n'est pas passé par un projet de loi du gouvernement. La semaine de travail à 35 ou 36 heures, sujet d'éternels débats dans de nombreux pays (et notamment en France), est devenue la norme pour 86% des travailleurs, résultat de négociations entre les partenaires sociaux.

Tout ne s'est pas fait en un claquement comme le rappelle un récent rapport co-écrit par un think tank britannique, Autonomy - qui se présente comme "progressif" - et une association islandaise. Les auteurs utilisent la dénomination "semaine de quatre jours" pour évoquer la réduction du volume horaire hebdomadaire de 40 heures à 35 ou 36 heures, avec le même salaire.

Large succès pour les expérimentations

Bien après la France, deux expérimentations ont eu lieu dans la capitale, Reykjavik, entre 2015 et 2019 (principalement dans le service public). La première a compté jusqu'à 2500 travailleurs participants, la seconde (qui a débuté en 2017) concernait 440 employés. Au total, cela représentait donc 1,3% des travailleurs du pays. Selon le rapport, les deux essais ont été un large succès: non seulement, la réduction horaire a permis un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle pour les concernés mais elle a maintenu voire augmenté la productivité, même si le rapport se montre plutôt avare en informations sur ce dernier point.

En réalité, la préoccupation majeure des Islandais n'était pas tant de perdre en productivité mais plutôt de devoir compenser les "heures perdues" par une suractivité avec le risque du burn-out. Un surmenage qui n'a pas eu lieu, indique le rapport, grâce à la bonne gestion des managers.

Pas forcément pour lutter contre le chômage

Les expérimentations ont été si convaincantes que les accords entre partenaires sociaux se sont multipliés à partir de 2019 dans le public comme dans le privé. Pour quel impact financier? Le rapport indique que cette mesure n'a pas forcément entrainé d'embauches (ce n'était visiblement pas l'objectif d'ailleurs, le taux de chômage étant bas) mais le gouvernement a tout de même dû recruter dans le secteur de la santé, pour un coût annuel estimé à 33 millions d'euros.

Et la réduction du temps de travail ne se cantonne pas à l'Islande. L'Espagne a lancé aussi une (modeste) expérimentation en ce sens mais en passant de 40 heures à 32 heures, soit une véritable semaine de 4 jours. Le Japon s'intéresse aussi à cette mesure car le pays fait face à une baisse inquiétante de la natalité. Davantage de temps libre est donc censé permettre aux Japonais de fonder une famille et élever des enfants.

En France, la réforme des 35 heures reste une question controversée même si un retour en arrière semble actuellement difficile. Emmanuel Macron n'a jamais souhaité toucher au temps de travail privilégiant l'incitation aux heures supplémentaires.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business