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Les livreurs Uber Eat et Deliveroo seront-ils bientôt tous salariés?

La chambre sociale a reconnu l’existence d’un lien de subordination unissant un livreur à la plate-forme numérique, qui est de nature à lier un salarié à un employeur.

La chambre sociale a reconnu l’existence d’un lien de subordination unissant un livreur à la plate-forme numérique, qui est de nature à lier un salarié à un employeur. - Gérard Julien - AFP

En reconnaissant un lien de subordination entre un livreur à vélo et la plate-forme Take Est Easy, la cour de Cassation a ouvert la voie à la reconnaissance d'un contrat de travail classique pour les livreurs, chauffeurs, et autres prestataires œuvrant via des plates-formes internet. Mais les spécificités du jugement laissent place à de nombreuses interprétations.

Pour le livreur à vélo de Take Eat Easy, qui a fait faillite en juillet 2016, c'est une belle victoire. Après avoir saisi la juridiction prud'homale, puis la Cour d'appel de Paris pour voir requalifié en contrat de travail sa relation contractuelle avec la plate-forme de livraison, la Cour de cassation lui a donné gain de cause. Dans un arrêt n°1737 du 28 novembre 2018, elle a statué pour la première fois sur la qualification du contrat liant un livreur à une plate-forme numérique. La chambre sociale a reconnu l’existence d’un lien de subordination unissant un livreur à la plate-forme numérique, qui est de nature à lier un salarié à un employeur, et ce même s'il n'était lié par aucun lien d'exclusivité à la plateforme et choisissait les jours et heures où il travaillait.

"La Cour de cassation a pris des précautions dans son arrêt, et fait assez rare, a même publié une note explicative, afin d'éviter de créer un tsunami dans un secteur en plein essor", tient à nuancer maître Vincent Manigot, avocat au cabinet de Pardieu Brocas Maffei. 

Un afflux de plaintes attendu

La Cour de cassation a établi la caractérisation d’une relation de travail salarié sur des éléments objectifs, comme l'existence d'un système de bonus et de malus destiné à récompenser les coursiers les plus rapides. "L'existence de cette prime permet de qualifier un lien de subordination", explique l'avocat. De plus, l'application utilisée était dotée d'un système de géolocalisation qui permettait le suivi en temps réel des coursiers. Pour la Cour, ce système n'était donc pas uniquement destiné à mettre en relation un restaurateur et un livreur, comme le faisait valoir Take Eat Easy, mais bel et bien à avoir un pouvoir de contrôle sur l'exécution des livreurs, caractérisant là aussi un lien de subordination.

Cette décision de justice va sans nul doute créer un afflux de plaintes de livreurs, coursiers et autres prestataires des plates-formes internet. Mais il y a peu de chances que le secteur s'en trouve déséquilibré, puisque la Cour de cassation s'est positionnée à partir de deux conditions d'encadrements très précises qui ne sont pas forcément utilisées partout. "c'est un arrêt important mais modéré dans ses implications", tempère l'avocat, car il va donner lieu à différentes interprétations auprès des juges de Prud'hommes et des cours d'appel.

Pour lui, la Cour de cassation pointe du doigt la nécessité de légiférer sur ce nouveau secteur d'activité, à la frontière entre le salariat et l'entrepreneuriat. La plus haute autorité juridique rappelle que "la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, a esquissé une responsabilité sociétale des plate-formes numériques en insérant les articles L.7341-1 à L.7341-6 dans le code du travail prévoyant des garanties minimales pour protéger cette nouvelle catégorie des travailleurs". Sans toutefois se prononcer sur leur statut juridique.

Il y a donc nécessité de réguler ces nouveaux modes d'activités qui ont un fort potentiel économique "car le droit du travail est peu adapté aux phases de lancement des activités", reconnaît maitre Vincent Manigot.

Coralie Cathelinais