Il y a bien un lien de subordination entre un livreur à vélo et la plateforme qui le fait travailler
Pour la première fois, la plus haute juridiction française a reconnu un lien de "subordination" entre un coursier à vélo au statut d'auto-entrepreneur et une plateforme internet de livraison de repas. Selon cet arrêt, "le rôle de la plate-forme ne se limitait pas à la mise en relation du restaurateur, du client et du coursier." La chambre sociale de la Cour de cassation ouvre la voie à la reconnaissance d'un contrat de travail classique entre un salarié et son employeur, pour les livreurs ou chauffeurs travaillant pour une plateforme internet.
"Cet arrêt a le mérite de dire les choses clairement: il n'y a pas antinomie entre contrat de travail et travailleurs des plateformes", a réagi Manuela Grévy, avocate du livreur et de la CGT à la Cour de cassation. "C'est une décision très importante", a commenté Gilles Joureau, avocat ayant défendu aux prud'hommes une douzaine de coursiers de Take Eat Easy, tous déboutés. Pour lui, "cet arrêt couronne un long combat pour la reconnaissance du lien de subordination."
Tous les livreurs devaient être auto-entrepreneurs
Les livreurs de Take Eat Easy étaient tous enregistrés comme autoentrepreneurs, une condition obligatoire pour travailler avec la plateforme dont la liquidation en août 2016 a mis sur le carreau 2500 personnes en France. Tous avaient signé avec elle un contrat de prestation de service.
Un de ces ex-coursiers avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail. Le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel s’étaient déclarés incompétents pour connaître de cette demande. La liquidation judiciaire de la société Take it easy avait été prononcée entre temps et le liquidateur avait refusé d’inscrire au passif de la liquidation les demandes du coursier en paiement des courses effectuées.
La cour d'appel de Paris a été déjugée
La cour d'appel de Paris avait notamment motivé sa décision par le fait que "le coursier n'était lié à la plateforme numérique par aucun lien d'exclusivité ou de non-concurrence et qu'il restait libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler ou de n'en sélectionner aucune s'il ne souhaitait pas travailler".
La Cour de cassation établit au contraire que la plateforme ne se limitait pas à la mise en relation du restaurateur, du client et du coursier. Dans son arrêt, elle estime que "le système de géolocalisation permettant à l'entreprise de suivre en temps réel la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de km parcourus, ainsi que l'existence d'un pouvoir de sanction, ne permettent pas d'"écarter la qualification de contrat de travail". Elle casse donc l'arrêt rendu le 20 avril 2017 par la cour d'appel de Paris et ordonne un nouveau procès en appel.
"Cette requalification est un non-sens. Elle met en lumière le flou juridique qui persiste dans le secteur et l'urgence de clarification, et surtout d'adaptation du droit aux évolutions technologiques", a réagi Grégoire Leclercq, président de la Fédération Nationale des Autoentrepreneurs.