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"Je n'étais plus moi-même": au-delà du congé menstruel, faut-il aménager le travail à la ménopause?

Si le Sénat débat, ce jeudi 15 février, de la possible mise en place d'un congé menstruel, des femmes appellent également à prendre en compte les douleurs liées à la ménopause. Une période encore tabou en entreprise.

À son grand désespoir, Ève, mandataire immobilier dans la Sarthe, ne peut plus travailler. Depuis le début de sa périménopause il y a deux ans, cette femme de 51 ans vit une descente aux enfers. Maux de ventre, douleurs articulaires, aux jambes, aux seins et aux yeux en continu, sensation de fébrilité, sueurs nocturnes associées à des troubles du sommeil... Et surtout, une fatigue absolue.

Depuis plusieurs mois, impossible pour elle de reprendre son activité professionnelle. "J'ai toujours travaillé, je ne suis pas du genre à me plaindre mais je ne peux plus rien faire", témoigne-t-elle auprès de BFMTV.com.

"Moi qui n'ai jamais fait de sieste de ma vie, si je promène mon chien, il faut ensuite que je m'allonge deux heures. Je ne me reconnais plus."

Indépendante et non salariée, elle s'inquiète d'autant plus. "Qu'est-ce que je vais devenir si je ne peux plus travailler?"

À l'heure où le Sénat débat ce jeudi 15 février de la possible instauration d'un congé menstruel, jusqu'à deux jours par mois, se pose aussi la question de l'accompagnement des femmes qui, comme Ève, voient leur santé altérée et leur carrière perturbée par des douleurs liées à la ménopause.

Des troubles sévères pour une femme sur quatre

Car la quinquagénaire est loin d'être la seule dans cette situation. Si la ménopause est un phénomène naturel qui intervient autour de l'âge de 50 ans - on parle de ménopause lors de l'arrêt des règles pendant au moins un an - la périménopause, qui la précède, peut être longue. Jusqu'à plusieurs années.

"C'est ce qu'on appelle le climatère, c'est une période de transition hormonale", explique à BFMTV.com la gynécologue Brigitte Letombe, membre du collectif All for ménopause. À la ménopause, les ovaires arrêtent leur production d'estrogène et de progestérone.

"Mais les ovaires ne s'arrêtent pas du jour au lendemain", complète-t-elle. "Il peut y avoir de fortes variations hormonales, voire des montagnes russes."

Les cycles deviennent irréguliers, s'accompagnant de troubles allant de l'inconfort au malaise. Car si l'on parle beaucoup des bouffées de chaleurs, il existe une soixantaine d'autres symptômes - insomnie, irritabilité, douleurs articulaires ou musculaires, brouillard cérébral ou encore syndrome génito-urinaire.

Et pour 20 à 25% des femmes, ces symptômes deviennent même des "troubles sévères" qui affectent leur qualité de vie, écrit l'Inserm. Notamment leur vie professionnelle: plus de quatre femmes sur dix affirment ainsi que la fatigue liée à la ménopause les a gênées dans leur travail, révèle une récente étude réalisée pour Essity.

"Vous êtes larguée, éteinte"

C'est le cas de Sandra Balan, une Parisienne de 42 ans qui s'est vue diagnostiquer l'été dernier une ménopause précoce. Cadre dans la fonction publique, elle a elle aussi rencontré des difficultés pour conjuguer son état de santé et ses activités professionnelles.

Parmi ses symptômes: bouffées de chaleur, émotivité exacerbée, fatigue "puissance 1000", apathie généralisée mais aussi insomnies, hyperactivité nocturne de la vessie et un syndrome pré-menstruel continu.

Résultat: la quadragénaire n'a plus envie de rien et le quotidien, notamment professionnel, lui devient insurmontable. "Vous êtes larguée, éteinte, dans une espèce de brouillard", confie-t-elle à BFMTV.com.

Difficile de faire bonne figure au travail quand on ne reconnaît plus. "Je n'étais plus moi-même", résume-t-elle. Elle est arrêtée plusieurs semaines. Après plusieurs consultations gynécologiques, un médecin lui prescrira finalement un traitement hormonal de la ménopause. Peu après le début de la prise de ce traitement, l'état de Sandra Balan a commencé à s'améliorer.

"Accompagner cette étape de la vie"

L'association All for menopause milite ainsi pour une meilleure formation des médecins, une plus large sensibilisation auprès de la population générale et en particulier des milieux professionnels. "Il y a urgence", abonde Sophie Kune, qui anime le compte Instagram Menopause stories. "C'est un vrai sujet de santé publique", plaide-t-elle pour BFMTV.com.

Alors que l'âge moyen des femmes est de 43,7 ans, enregistre l'Insee, bon nombre d'entre elles entrent et entreront donc dans la ménopause en étant toujours en activité. "Au moment de leur vie où elles sont fortes de leurs expériences et au sommet de leurs compétences", insiste Sophie Kune, également autrice de Ménopausée et libre!

"Il n'est pas question de mettre en place un mi-temps thérapeutique. Il s'agit simplement d'accompagner cette étape de la vie et de trouver des solutions."

Au risque, pour les entreprises, "de se priver de leurs forces vives", regrette encore Sophie Kune. "Il ne s'agit pas de faire œuvre. Il faut que les directions, les ressources humaines comprennent qu'il en va de leur intérêt."

Des "avantages ménopause" à l'étranger

À l'étranger, le sujet a déjà émergé. Comme en Irlande, où la Bank of Ireland propose depuis l'automne 2022 dix jours de congés payés pour les salariées souffrant de troubles liés à la ménopause. Même initiative en Australie et Nouvelle-Zélande au sein du groupe Publicis.

Aux États-Unis, de grands groupes comme Microsoft, Sanofi ou Bank of America proposent eux aussi des aménagements pour les femmes concernées, des "menopause-specific benefits".

Des "avantages ménopause" qui recouvrent plusieurs dispositifs: des congés spécifiques, un accès à des spécialistes, de la physiothérapie, une messagerie ou un chat vidéo accessible sept jours sur sept avec des médecins ou des infirmiers, ou encore un groupe de soutien, liste le magazine Time.

Objectif: recruter et fidéliser les employées. Car l'intérêt est aussi économique: une étude américaine a montré que la ménopause coûtait - aux États-Unis - environ 1,6 milliard d'euros par an en temps de travail perdu et 24,3 milliards d'euros en frais médicaux.

Et en France?

En France, la question a été récemment évoquée au Sénat. La délégation aux droits des femmes pointait notamment le fait que l'Angleterre, contrairement à la France, avait adopté en 2022 une stratégie pour la santé des femmes incluant la ménopause.

À l'Assemblée, une proposition de loi relative à la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail a été déposée en juin 2023. Elle visait à créer un arrêt de travail spécifique en cas de "menstruations incapacitantes" et évoquait "des mesures de transformation du monde du travail (...) allant des menstruations jusqu'à la ménopause", accompagné d'une sensibilisation à la question tous les trois ans dans les entreprises et collectivités. Le texte a été renvoyé en commission.

Au Sénat, la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, examinée ce jeudi dans l'hémicycle, se focalise sur le congé menstruel. Mais la question de la ménopause est l'un des prochains combats pour la rapporteure du texte, Laurence Rossignol.

"La jeune génération (...) n'hésite pas à aborder franchement ces problèmes (des douleurs liées aux règles, NDLR), dans le cadre familial comme professionnel", a expliqué l'élue socialiste lors des débats en commission.

"Accompagnons-la dans la levée de ce tabou, avant, je l'espère, d'accompagner la levée du tabou de la ménopause", concluait-elle.

"Ce n'est que justice"

Des entreprises et des collectivités n'ont pas attendu pour mettre en place une forme de congé menstruel. Et malgré l'absence de législation, certains se montrent précurseurs en matière de prise en compte de la ménopause.

Comme le département de la Gironde qui a adopté à l'unanimité en juin dernier un dispositif proposant un aménagement du poste mais aussi du temps de travail, davantage de flexibilité et des congés spécifiques pour les femmes qui souffrent de périodes menstruelles difficiles ou de troubles liés à la ménopause.

"Il relève de notre responsabilité de veiller à renforcer l'égalité au travail entre les hommes et les femmes", assure à BFMTV.com Arnaud Arfeuille, vice-président du département de la Gironde, qui porte ce projet. "Admettre qu'on peut être malade pendant ces périodes, ce n'est que justice."

Pour la militante Sophie Kune, c'est d'abord aux employeurs d'être forces de proposition alors que les femmes se gardent bien souvent d'évoquer le sujet sur leur lieu de travail par crainte d'être stigmatisées, jugées moins capables ou mises de côté.

Plus de sept femmes sur dix évitent en effet de parler de la ménopause en public, selon une récente étude réalisée pour Essity. "Il n'est pas tant question d'un congé, ce n'est pas forcément la seule et unique solution", conclut-elle. "Mais quand les employeurs prendront ce sujet à bras le corps, on aura déjà fait un grand pas."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV