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Chute, brûlure, fracture.... Est-ce que se blesser en télétravail, c'est un accident professionnel?

Une récente décision de justice a rejeté la demande d'une sage-femme qui s'était fracturée les orteils pendant une formation en télétravail. Pourtant son accident a bien eu lieu pendant ses heures de travail.

Les Français ont de plus en plus recours au télétravail mais que se passe-t-il en cas d'accident à son domicile pendant les heures travaillées?

Selon le Code de la Sécurité sociale (article L411-1) "Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise".

BFM Business avec vous : Accident de travail et licenciement - 06/03
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Le Code du travail (article L. 1222-9) prévoit le cas de l’accident survenu pendant une période de télétravail.

"L'accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l'article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale".

Égalité de traitement entre un salarié au bureau et un télétravailleur

Traduction: un accident survenu en télétravail relève des mêmes conditions qu'un accident ayant eu lieu au sein des locaux de l’entreprise ou sur un chantier à l'extérieur. Le Code du travail pose donc un principe strict d'égalité de traitement entre le salarié qui travaille dans les locaux de l'entreprise et le télétravailleur.

Il y a néanmoins des exceptions qui découlent de deux décisions récentes de justice.

Comme le rappelle service-public.fr, "ces deux arrêts affirment que l’accident survenu en dehors des heures ou du lieu de télétravail déclarés n’est pas présumé être un accident du travail. Le salarié doit donc démontrer qu’il existe un lien entre son accident et son travail. À défaut, l’accident du travail ne sera pas retenu".

Ainsi, si le salarié en télétravail vient de se déconnecter (ou de débadger, ou de pointer la fin de sa journée), l'accident dont il peut être victime n'est pas considéré comme un accident du travail.

D'ailleurs, l'employeur peut émettre des réserves quant à la nature professionnelle de l'accident. Il dispose d'un délai de 10 jours à partir de la date de la déclaration d'accident du travail à l'Assurance Maladie.

Exceptions

Comment alors expliquer la récente décision de justice qui a rejeté la demande d'une sage-femme de la mairie de Paris qui s'était fracturée les orteils pendant une formation en télétravail. Elle se tourne alors vers la mairie de Paris pour que son accident soit reconnu comme un accident du travail.

La commission de réforme chargée d'examiner son dossier rejette sa demande quelques mois plus tard, estimant que "les faits déclarés ne relèvent pas d'un fait de service". Elle se tourne vers la justice pour contester cette décision.

Si le tribunal administratif confirme "que cet accident s'est déroulé sur le temps du service de la requérante", selon l'arrêt, "les circonstances de cet accident ne peuvent être regardées comme constituant le prolongement normal ou relevant de l'exercice de ses fonctions".

Ainsi, cet accident doit être "regardé comme un événement détachable du service", a tranché le tribunal.

Selon Marion Kahn, avocate spécialisée en droit du travail au sein du cabinet Desfilis, "la présomption simple d'accident du travail peut être écartée lorsque l’accident survient dans des circonstances qui sont détachables de l’activité professionnelle du salarié".

"On considère alors que le salarié n’est plus placé sous le lien de subordination de son employeur et que l’accident doit donc être regardé comme étant sans lien avec son travail. C’est ce que retient le Tribunal administratif de Paris lorsqu’il vise "les circonstances de l’accident". On notera en effet que le Tribunal a relevé que ce dernier s’est produit "Peu avant la reprise de sa formation, après la pause de 10h"", poursuit-elle.

Acte détachable

"Le tribunal a donc considéré que le fait de se chausser avant de reprendre la formation était un acte détachable de la vie professionnelle de la salariée car il s’était produit à la fin d’un temps de pause, temps durant lequel le salarié est libre de vaquer à ses occupations et n’est donc plus placé sus le lien de subordination de son employeur, et qu’il était sans lien avec l’exercice de ses fonctions", détaille l'avocate pour BFM Business.

"On ne sait pas si la salariée a plaidé que mettre ses chaussures constitue un acte de la vie courante, mais il y a peut-être là une piste pour interjeter appel de la décision du tribunal administratif de Paris" indique-t-elle.

Un avis confirmé par Nicolas Mancret, avocat en droit social, sur BFM Business, "la collaboratrice en question n'avait rien à faire avec la table à repasser donc on est sur acte qui est complètement extérieur à l'activité professionnelle". L'avocat rappelle par ailleurs que cette décision concerne une fonctionnaire et qu'il faudra observer si de telles décisions sont rendues pour un salarié d'entreprise privée.

Autre cas à envisager... Marion Kahn rappelle par ailleurs que si l'accident "se produit lors d’un déplacement professionnel il est présumé être un accident du travail s’il survient lors d’un acte professionnel (intervention chez un client par exemple) ou d’un acte de la vie courante (déjeuner dans un restaurant). L’employeur peut toutefois écarter cette présomption s’il peut démontrer que le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel".

De quoi donner lieu à des décisions exotiques. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris de 2017 stipule "qu'un salarié en mission qui avait eu une crise cardiaque pendant des ébats avec sa maîtresse constituait un acte de la vie courante et que le décès du salarié devait être considéré comme un accident du travail".

Accident du travail en télétravail? Que faire?

Les démarches sont les mêmes qu’en cas d’accident dans les locaux de l'entreprise. Il faut d’abord envoyer un certificat médical à votre Caisse primaire d’assurance maladie. Dans le même temps, le salarié a 24 heures pour prévenir (ou faire prévenir) son employeur de cet accident, sauf cas de force majeure et d’impossibilité absolue.

De son côté, l’entreprise doit remplir une déclaration d’accident du travail, et l’envoyer à la CPAM dans les 48 heures suivant les faits. Si l’accident occasionne un arrêt de travail, l’employeur doit également fournir à la CPAM une attestation pour établir le calcul des indemnités journalières auxquelles a droit le salarié.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business