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Une dernière journée de manifs avant "la France à l'arrêt"? Pourquoi les syndicats durcissent le ton

Un panneau lors de la manifestation à Paris le 11 février 2023 contre la réforme des retraites

Un panneau lors de la manifestation à Paris le 11 février 2023 contre la réforme des retraites - BERTRAND GUAY / AFP

Si une cinquième journée de mobilisation est organisée ce jeudi 16 février, les centrales syndicales cherchent de nouveaux modes d'action pour garder la main sur la contestation contre la réforme des retraites.

Un geste inédit: si une nouvelle journée de manifestations contre la réforme des retraites est organisée ce jeudi, l'ensemble des syndicats - y compris la CFDT, traditionnellement plus modérée - ont d'ores et déjà appelé à "mettre le pays" à l'arrêt le 7 mars, date du début de l'examen du projet de loi au Sénat. De quoi espérer faire céder le gouvernement qui tient jusqu'ici bon sur le recul de l'âge de départ à 64 ans, malgré la mobilisation dans les rues.

"Élisabeth Borne et Emmanuel Macron s'entêtent", estime Fabrice Angei, secrétaire confédéral de la CGT, auprès de BFMTV.com. "On est obligé de passer à la vitesse supérieure pour se faire entendre."

Parmi les options envisagées: installer dans la durée les mobilisations dans la rue ou encore aller vers "des grèves reconductibles" à la RATP, la SNCF ou encore dans les aéroports, comme l’a expliqué Philippe Martinez, le numéro 1 de la CGT, en fin de semaine dernière.

Le soutien de l'opinion

Ce durcissement de ton a tout du changement de pied. Depuis le début du mouvement contre la réforme portée par Elisabeth Borne, les syndicats ont toujours veillé à garder de leur côté l’assentiment des Français: sont toujours 67% à se dire opposés à la réforme actuelle et autant à approuver la mobilisation, selon le dernier sondage Elabe pour BFMTV publié ce mercredi - un niveau élevé en comparaison d'autres mouvements sociaux ces dernières années.

Laurent Berger, le numéro 1 de la CFDT, n'avait d'ailleurs pas manqué de souligner ces derniers jours l'absence d'appel à la grève dans les transports samedi dernier, premier jour des vacances de la zone B – une façon de garder le soutien de la population.

Mais pour Jean-Marie Pernot, spécialiste de l'histoire du syndicalisme, les centrales n'ont désormais plus le choix et doivent modifier leur tactique.

"Si les modes d'action ne se durcissent pas, on va vers un vrai risque de violence avec une perte de contrôle du mouvement par les partenaires sociaux", décrypte ce chercheur. "C'est ce qu'ils veulent éviter à tout prix."

"ll y a donc besoin de donner des gages aux forces sur le terrain et de montrer qu'on est prêt à aller faire des grèves beaucoup plus dures tout en les encadrant", avance encore le politologue.

Eviter d'être débordés

L'orientation semble plébiscitée par les Français. Près de 6 Français sur 10 se disent favorables à une "France à l'arrêt" le 7 mars prochain d'après un sondage Elabe pour BFMTV.

Il faut dire que malgré l'ampleur des manifestations - les syndicats ont réuni plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues à quatre reprises -, la majorité reste pour l'heure inflexible. "Cela ne changera rien" a assuré, imperturbable, un député Renaissance en première ligne sur la réforme, après la mobilisation samedi dernier. Voyant dans les manifestations "la simple traduction de l'impopularité d'une réforme que (la majorité) assume".

Face à cette situation, les syndicats ne veulent pas se faire dépasser par des manifestants qui trouveraient que les démonstrations de force dans la rue ne suffiraient pas. Dans les rangs des partenaires sociaux, la récente grève des contrôleurs SNCF, organisée notamment via un collectif organisé sur Facebook, très loin des centrales, a de quoi leur donner quelques sueurs froides.

"On voit bien qu'on imprime à nouveau dans les têtes des Français. Il faut à tout prix qu'on capitalise là-dessus pour montrer qu'on sait évoluer et s'adapter à la situation politique", souhaite un syndicaliste de la CFDT.

Dans les rangs du syndicat, l'inquiétude commence à poindre sur les débouchés du mouvement. Laurent Berger, le secrétaire général de l'organisation a pointé sur BFMTV la semaine dernière le "manque de perspective démocratique d’un pays qui ne répond pas à 1,5 million de personnes", qualifiant l’attitude du pouvoir "de faute démocratique".

Avec en ligne de mire, le mouvement des gilets jaunes. Tout en faisant descendre bien moins de Français dans la rue, les manifestations organisées chaque week-end fin 2018 avaient poussé le gouvernement à réagir. Et à débloquer entre 12 et 15 milliards d’euros après plusieurs mobilisations d’ampleur, pourtant marquées par des débordements comme les destructions au sein de l’Arc de Triomphe à Paris.

Hésitations de l'exécutif

Dans le camp de la majorité présidentielle, on oscille entre dédramatisation et discours au ton plus offensif. Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a ainsi assuré "être à l'écoute", "la porte toujours ouverte pour les syndicats" lors des débats dans l'hémicycle.

"Il y a déjà eu de multiples concertations avec les syndicats et on est arrivé au bout de ce qu'on pouvait négocier", explique de son côté le député Guillaume Karasbian.

Le président de la commission des Affaires économiques à l'Assemblée nationale se demande si "la CFDT" est "prête à évoluer". Pour l'heure, c'est plutôt l'exécutif et la majorité qui sont blâmés par les Français: ils sont 73% à estimer que le gouvernement n'a pas été clair et transparent sur le contenu de la réforme, selon notre sondage Elabe. Et 55% à lui imputer à l'exécutif la responsabilité du mauvais climat actuel à l'Assemblée nationale.

Marie-Pierre Bourgeois