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Arrêt maladie: une femme espionnée et prise en filature par l'assureur de son ex-employeur

Une jardinerie au Royaume-Uni.

Une jardinerie au Royaume-Uni. - GLYN KIRK / AFP

Une ancienne salariée des jardineries Côté Nature a été suivie par des détectives privés. L'objectif de son ancien employeur et de l'assureur? Prouver qu'elle n'était pas aussi mal en point qu'elle le prétendait.

Filature, détective privé… Ces méthodes dignes d'un film d'espionnage ont été utilisées pour suivre une ancienne salariée de la jardinerie Côté Nature, après son arrêt maladie. Plus précisément, c'est l'assureur de l'entreprise, Gan, qui a payé un cabinet de détectives privés pour suivre l'employée à la trace, comme le rapportent nos confrères de L'informé. Le but? Prouver qu'elle n'était pas aussi malade qu'elle ne le prétendait.

Selon le média économique, l'histoire commence en 2015, lorsque Mme A. est recrutée chez Côté Nature à Alençon, dans l'Orne. Elle réalise alors des tâches pénibles comme transporter des sacs de graviers ou de terreaux : "Elle déchargeait parfois jusqu’à trois tonnes par semaine toute seule. Ma cliente fait 45 kilos, je vous laisse imaginer", témoigne son avocate auprès de L'informé.

Licenciée pour inaptitude

Neuf mois plus tard, la salariée est placée en arrêt maladie: elle souffre de sept pathologies, constatées par son médecin, au niveau du canal carpien et du coude, précise le média. En 2018, elle est définitivement déclarée inapte par la médecine du travail et elle est alors licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, selon la même source.

C'est alors que Mme. A. saisi le tribunal de grande instance d'Alençon, afin de faire reconnaître la "faute inexcusable" de Côté Nature. Elle assure qu'elle n'a pas reçu de formation sur les postures à adopter et qu'elle avait alerté l'entreprise sur ces situations dangereuses, sans que rien ne soit mis en place, ce que conteste Côté Nature.

Lors du procès, en 2022, Mme A. obtient gain de cause, toujours selon L'informé. Mais l'employeur ne compte pas en rester là.

Trois journées de filature et un montage vidéo

Devant la cour d'appel, Côté Nature est cette fois accompagné par son assureur, Gan, qui présente un rapport et un montage vidéo de sept minutes qui détaille que sur les trois journées de filature, du 6 au 8 septembre, l'ex-employée n'est sortie que le premier jour.

Les deux détectives l'ont notamment suivie et filmée jusqu'au supermarché, à la gare pour accueillir son avocate et à l'hôpital pour un rendez-vous médical, liste L'informé. Ces enquêteurs privés concluent qu'elle se déplaçait à pied, "en trottinant même à certains moments, sans aide matérielle", puis "marchant en s’aidant d’une canne lors de son arrivée au centre hospitalier" et conduisant une voiture à boîte manuelle "sur de longues distances", selon leur rapport, consulté par le média en ligne.

Atteinte à la vie privée?

Des conclusions démenties et des méthodes décriées par l'avocate de la plaignante. "C’est n’importe quoi. Ils utilisent les mêmes plans plusieurs fois dans le montage, parfois avec des angles différents", assure-t-elle à nos confrères de L'informé.

Alors ces méthodes de filature sont-elles condamnées par la justice? Pas selon la cour d'appel de Caen qui estime que les atteintes à la vie privée de la salariée ne sont "pas disproportionnées au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l’assureur et des intérêts de la collectivité". Elle juge que Gan "est tout à fait légitime à produire ce rapport en justice", dans sa décision, citée par L'informé.

Badminton et arrêt maladie

Au-delà du cas de cette employée de jardinerie, les entreprises peuvent être confrontées à ce genre de difficultés lorsque des employés se livrent à des activités personnelles incompatibles avec leur arrêt de travail, selon Pauline Tannai, avocate au cabinet Hakiki Associés.

"Il y avait une jurisprudence sur le sujet: un employé faisait des compétitions de badminton alors qu'il était en arrêt parce qu'il avait mal à l'épaule", se souvient l'avocate, interviewée sur BFM Business. "L’employeur est démuni face à cette situation."

Pour ce qui est de la jardinière, la cour a conclu, sans lien avec la filature réalisée, que les six pathologies de l'employée étaient d'origine professionnelle, mais n'a pas déclaré la société responsable. La justice a considéré que l'entreprise avait pris les mesures nécessaires pour protéger sa salariée et ne reconnait pas la "faute inexcusable". L'histoire n'est pas encore tout à fait finie puisque la plaignante va se pourvoir en cassation.

Marine Cardot