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Présidentielle: la charge de deux prix Nobel d’économie contre le programme de Marine Le Pen

Marine Le Pen à Roye (Somme) ce jeudi.

Marine Le Pen à Roye (Somme) ce jeudi. - THOMAS SAMSON / AFP

Deux lauréats français du prix de la Banque de Suède en sciences économiques, Jean Tirole et Esther Duflo, contestent la pertinence des propositions de Marine Le Pen en la matière, dans Libération.

Le programme économique de Marine Le Pen est injuste et inopérant. Les économistes nobélisés Jean Tirole et Esther Duflo partagent ce constat, dans des entretiens publiés dans Libération, à deux jours du second tour.

Interrogés sur les conséquences économiques d’une élection de la candidate du Rassemblement National, Jean Tirole considère qu’il y a un risque de mise au banc de la France en Europe.

“Son programme est un Frexit déguisé. Il enfreint de nombreuses règles communautaires, ce qui serait inacceptable [pour] les autres pays européens”.

Si la candidate affirme tenir un programme budgétaire parfaitement à l’équilibre -68 milliards d’euros de nouvelles dépenses et 68 milliards de nouvelles recettes-, le prix Nobel d’économie 2014 estime qu’il s’agit d’un calcul hasardeux. “Les dépenses du programme de Marine Le Pen sont essentiellement de la consommation, elles ne sont pas tournées vers des investissements pour l’avenir.”

Une hausse des inégalités

Esther Duflo, économiste nobelisée en 2019, pointe elle, l’inégalité des mesures proposées par Marine Le Pen. “Hormis la revalorisation des petites retraites et ses propos sur le handicap, la plupart de ses autres mesures profiteraient à des gens dans des dynamiques positives, ceux qui travaillent.” Selon Esther Duflo, la politique de la candidate RN tient moins dans la défense des plus pauvres que dans “l’éthique du ‘travailler plus pour gagner plus’ de Sarkozy".

Quant à l’idée d’exonérer d’impôt sur le revenu les moins de 30 ans, Jean Tirole juge que “c’est délirant”. Les jeunes non-imposables ne sont évidemment pas concernés. Résultat, les principaux bénéficiaires de cette mesure sont les “très diplômés, qui travaillent dans des professions très rémunératrices”.

Des idées mises en avant par Marine Le Pen dans son programme économique, la baisse de la TVA à 5,5% pour les carburants et même à 0% pour un panier de 100 produits de première nécessité est l’une des plus symboliques. Pour autant, “ce n'est pas en encourageant les gens à consommer davantage d’essence qu’il sera résolu, d’autant plus qu’en baissant la TVA, on aide les pays producteurs de pétrole et de gaz, comme la Russie”, estime Jean Tirole. Il préconise d’utiliser plutôt les chèques énergie.

Celle qui a obtenu le prestigieux prix cinq ans après partage ce constat. “Utiliser uniquement la TVA pour lutter contre une baisse du pouvoir d'achat n’aurait pas une incidence claire, puisque ce sont les gens qui consomment le plus qui paient le plus cette taxe sur la consommation. Donc réduire la TVA ferait un gros cadeau fiscal à ceux qui sont déjà plus riches”, prédit Esther Duflo.

L'impasse de la priorité nationale

S’il y a une “cohérence rhétorique” de son programme, il n’y en a “aucune du point de vue économique”, juge la spécialiste économique de la pauvreté. Surtout, la vision de Marine Le Pen pointe les étrangers du doigt, selon elle.

“Les études montrent que les étrangers ne 'coûtent rien' : la somme dépensée pour leurs prestations sociales est compensée par les cotisations qu’ils paient sur le travail”, défend Esther Duflo.

La préférence - ou priorité - nationale prônée par Marine Le Pen est un leurre, pense aussi Jean Tirole. “Elle nourrit une espèce d’espoir que la préférence nationale suffise à financer une grande partie de ses baisses d’impôts. Tous les contre-chiffrages suggèrent que c’est mythique, qu’elle ne peut pas non plus y croire elle-même”, répond Jean Tirole.

Sofiane Aklouf