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La Chine dans le jeu américain des monarchies du Golfe

La Chine est encore bien loin d’évincer les États-Unis auprès des monarchies du Golfe. Mais les échanges à la « World Policy Conference », organisée aux Émirats arabes unis du 9 au 11 décembre, illustrent un rapprochement accéléré.

Le séjour saoudien du président chinois Xi Jinping, du 7 au 10 décembre, ne devait pas s’inscrire dans l’ordinaire. Riyad et ses alliés ont donc vu les choses en très grand, autour de trois sommets d’affilée pour leur invité, d’abord avec l’Arabie Saoudite, puis le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et pour finir, la Ligue arabe. Un déploiement protocolaire forcément scruté par la World Policy Conference (WPC), organisée au même moment à Abou Dabi.

Il y a eu toute la satisfaction exprimée dimanche soir par le chef de la diplomatie saoudienne, Faisal bin Farhan Al Saud, venu clore les échanges dans la capitale émiratie, pour qui les perspectives de coopération avec la 2e économie mondiale s’avèrent « incroyables », que ce soit pour son pays ou les autres nations arabes.

Un responsable gouvernemental des Émirats arabes unis, rencontré en marge de la WPC, considère pour sa part que cette succession inédite de sommets formels, traitement inhabituel jusqu’ici essentiellement réservé dans la région au président des États-Unis, « vient satisfaire l’égo politique » des Chinois, en « renforçant leur statut ». Propos apparemment corroboré, lorsque l’on voit le président de l’Institut international d’études stratégiques à Pékin, Wang Jisi, lors d’une table-ronde sur la « rivalité » sino-américaine, évoquer le caractère « plus ambitieux » de ce rassemblement entre son pays et les cinq autres du CCG.

L’intention par la suite pour les monarchies du Golfe est de systématiser ce format chaque fin d’année, probablement en 2023 avec l’Asean, l’organisation du sud-est asiatique. Toujours d’après la source gouvernementale émiratie, pour le royaume saoudien il en est allé par ailleurs d’une « valeur symbolique » vis-à-vis des démocrates au pouvoir à Washington qui, un temps, ont proclamé leur intention de mettre le prince héritier Mohammed Ben Salmane au ban de la communauté internationale, après l’assassinat en 2018, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Géopolitique de l’énergie

Puis, les Saoudiens ne sont pas privés de rappeler lors de cette conférence d’Abou Dabi, une fois encore, les facteurs de l’équation économique avec la Chine, premier partenaire commercial et débouché pour 20 % de leurs exportations de pétrole. Et des échanges qui tendent, soutient-on ici, à se diversifier et à se sophistiquer.

De quoi il retourne ? La pétrochimie, mais également le potentiel des énergies renouvelables. Lors d’une session samedi, Khaldoon Khalifa Al Mubarak, directeur général du fonds souverain d’Abou Dabi Mubadala, a mis en exergue les 80 % de l’industrie mondiale du solaire concentrée en Chine. « Nous aussi, on veut en bénéficier », lance alors un haut fonctionnaire émirati.

Idée « très naïve »

La « géoéconomie d’un monde fragmenté », pour reprendre l’intitulé d’une table-ronde de vendredi, offre, par la même occasion, certaines possibilités de prendre ses distances avec les États-Unis. Pour un économiste sud-coréen, qui conseille de longue date son gouvernement, la manière dont s’est déroulée la visite de Xi Jinping à Riyad démontre que l’Arabie Saoudite « sera plus indépendante des pays occidentaux ».

Néanmoins, tout en saluant « la vision claire » qu’ont les Chinois de « ce qu’ils veulent », le responsable gouvernemental émirati juge « très naïve », l’idée « simplificatrice » en vogue d’une Chine venant « remplacer » les États-Unis, ce que le directeur saoudien d’un centre de recherche sur le Golfe, basé à Djeddah, a tout autant souligné dans une intervention dimanche après-midi. Abdulaziz Othman Sager assure que « la relation économique avec Pékin ne se développe pas en une relation de politique de sécurité », la Chine n’étant d’ailleurs de toute façon pas en mesure, selon lui, de fournir un cadre de protection armée au Moyen-Orient.

« Signaux déroutants »

L’objet, pour Riyad et ses alliés de la péninsule arabique, serait avant tout de faire prendre en considération le défaut grandissant « d’engagement » des Américains dans la région. Le ministre saoudien des Affaires étrangères évoque le « besoin d’un dialogue stratégique » avec eux, au niveau bilatéral, mais aussi de celle des instances du CCG.

La source émiratie juge que Washington va ainsi devoir répondre maintenant à différentes interrogations de la plus haute importance stratégique pour les Émirats arabes unis, concrètement, quant à un pacte de sécurité et de défense en bonne et due forme pour 30 ans et à une réelle disponibilité des matériels militaires les plus en pointe, notamment de défense aérienne. « Je dois savoir, sinon je dois trouver cet équipement ailleurs », prévient-il, en insistant sur une nécessité absolue de planification. Or, l’expert saoudien Abdulaziz Othman Sager déplore ne percevoir que des « signaux déroutants » en provenance des États-Unis, dont des hypothèses contradictoires de réaffectation à venir des troupes américaines dans la région.

Persuadées de leur capacité à faire valoir ce qu’elle estiment former leurs intérêts fondamentaux, les monarchies du Golfe pensent être en mesure de ne pas les définir en fonction de l’antagonisme entre les deux plus grandes économies au monde. Certains vétérans de la politique extérieure américaine, qui se sont exprimés ici, le déplorent amèrement. Du point de vue de Stuart Eizenstat, qui fut numéro 2 du Trésor sous l’administration Clinton, entre autre, voilà ce qu’il en coûte à l’Amérique d’avoir laissé un « énorme vide » dans la région. Toujours dans cette conviction que seuls les États-Unis ont à se déterminer.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international