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Fragmentation géoéconomique: Européens, Japonais et Sud-Coréens pris au piège

La « World Policy Conference », organisée du 9 au 11 décembre aux Émirats arabes unis, tente de mettre en garde quant aux dégâts économiques de la « fragmentation » entre Washington et Pékin.

D’une manière ou d’une autre, au cours de cette 15e édition de la World Policy Conference, qui se tient cette année à Abou Dabi (Émirats arabes unis), la rivalité entre les États-Unis et la Chine est de toutes les discussions, de tous les apartés.

À une session sur l’hypothèse d’un « effondrement de l’ordre économique international », Qiao Yide, secrétaire général de la Fondation pour la recherche sur le développement de Shanghai, pose les termes en fonction des gains pour son pays à aller ou non dans le sens de la politique de sanctions unilatérales déployée par les Américains, en tant que mode de gestion des relations internationales.

Pourquoi donc Pékin avaliserait-il ces mesures punitives, en particulier à l’encontre de la Russie, dès lors que Washington a, maintenant, officiellement constitué la Chine en seul « adversaire systémique » ? Pour ainsi dire, dans le propos de cet expert auprès du ministère chinois des Finances, il n’y a fondamentalement plus rien à y gagner.

Pris en tenailles

Parmi les grands alliés industriels asiatiques des États-Unis, les inquiétudes portent avant tout sur le secteur des semi-conducteurs. Taeho Bark, président de l’Institut du commerce mondial Lee&Ko, à Séoul, redoute qu’avec la législation de l’administration Biden dite de réduction de l’inflation (IRA), structurant l’appui financier à la localisation de la production de puces sur le sol américain, l’on fasse « perdre l’opportunité » de réformer l’ensemble des règles de subventions dans ce domaine. Cet ancien ministre sud-coréen du Commerce extérieur exprime de vives préoccupations, en écho à celles de l’actuel gouvernement, d’être alors pris en tenailles entre les largesses budgétaires des deux plus grands produits intérieurs bruts au monde.

Mais c’est un conseiller de l’exécutif européen qui vient pointer auprès de ses interlocuteurs asiatiques l’évolution la plus lourde de conséquences à ses yeux : l’arsenal réglementaire édicté par Washington le 7 octobre, qui vise à limiter radicalement la vente d’équipements de production de puces à des sociétés chinoises.

Pour l’économiste japonais Motoshige Itoh, de l’Université de Tokyo, l’inquiétude est alors à relier à une puissante volonté de « centralisation » aux États-Unis des chaînes d’approvisionnement technologiques, au travers de la fabrication des semi-conducteurs. Cet ancien conseiller gouvernemental n’est pas loin de penser que les Chinois ne vont ainsi qu’en renforcer leur argumentaire d’auto-suffisance.

« Découplage » intégral

Le diplomate sud-coréen Lee Hye Min, l’un des principaux négociateurs de l’accord de libre-échange de son pays avec l’Union européenne entré en vigueur en 2011, exprime aussi de grandes craintes pour les industriels technologiques sud-coréens. Ils subissent là, selon lui, une sérieuse « distorsion à l’ordre commercial international ».

Dans cet affrontement spécifique sino-américain, et qui occulte les autres contentieux, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’en tient au constat que Pékin ne recherche pourtant pas à faire valoir une alternative au système commercial multilatéral tel qu’il existe. C’est ce que relève en tout cas le directeur général adjoint de l’institution, Jean-Marie Paugam.

À ses côtés, l’universitaire américain Jeffrey Frieden, professeur à Harvard, évoque, par contraste, une « campagne de destruction » de l’OMC menée par son pays. Quand Qiao Yide, de la Fondation pour la recherche sur le développement de Shanghai, préfère, lui, soutenir que ce ne sont pas les politiques commerciales de Chine qui ont provoqué l’essor de cette vague adverse « anti-mondialisation ».

Les grandes entreprises ni américaines, ni chinoises n’auraient donc devant elles plus d’autre choix que de cloisonner, aller vers un « découplage » intégral. Le sud-coréen Lee Hye Min ne conçoit plus d’illusions : tout groupe technologique de pointe de la Corée du Sud qui travaille avec la Chine sera contraint d’y créer une société distincte, ne servant strictement que le marché chinois. Dans l’espoir d’échapper aux foudres des autorités américaines.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international