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Pétrole: comment la Russie pourrait contourner les sanctions européennes grâce à des "cargos fantômes"

Pour faire face aux sanctions occidentales, la Russie aurait constitué une flotte de plus d'une centaine de navires achetés par des anonymes pour transporter le pétrole russe sans permettre de vérifier leur contenu et le montant des marchandises.

L'Union européenne et le G7 durcissent le ton vis-à-vis de la Russie. Depuis ce matin, deux mesures sont entrées en vigueur: le plafonnement des prix du pétrole russe à 60 dollars le baril et un embargo de l'UE sur le brut acheminé par voie maritime, comme celui déjà décidé par les États-Unis et le Canada.

"Je ne suis pas sûr que l'on arrivera sur chacun des cargos [russes] à contrôler à quel prix sera vendu le brut et s'il sera en dessous ou au-dessus des 60 dollars", confirme à BFM Business Denis Florin, associé fondateur de Lavoisier Conseil.

En effet, Moscou a constitué une flotte de pétroliers qui ne permet pas de savoir ce qu'ils transportent et à quel prix. Ces navires ont été surnommés "shadow tankers", en français des cargos fantômes. Selon Anoop Singh, responsable de la recherche sur les pétroliers, la Russie disposerait de 29 superpétroliers capable de transporter plus de 2 millions de barils, de 31 pétroliers de taille Suezmax (1 million de barils), et 49 pétroliers Aframax d'une capacité d'environ 700.000 barils.

Ces pétroliers de plus d'une dizaine d'années, étaient promis à la destruction. Ils ont été acquis par des acheteurs anonymes ou inconnus des registres de la marine marchande.

"Nous sommes convaincus que la majorité de ces navires sont destinés à la Russie", a déclaré Anoop Singh au Financial Times.

Approvisionner l'Inde, la Chine et la Turquie

Andrei Kostin, directeur de la banque publique russe VTB, avait évoqué en octobre un budget de 16,2 millions de dollars pour en faire l'acquisition. Cette armada doit pouvoir approvisionner des pays tels que l'Inde, la Chine et la Turquie sans jamais passer par les ports ou les eaux territoriales de pays occidentaux. Et pour ce rendre encore plus invisibles, ils éteindraient leur AIS, le GPS maritime, pour n'être ni vus, ni identifiés.

Pour Denis Florin, cette stratégie risque d'affaiblir l'impact de l'embargo.

"Les Russes vendent à des prix qui sont supérieurs à ce qu'ils étaient avant leur entrée en guerre. Si on regarde ce qu'il s'est passé pour le Venezuela, ces mesures ont tendance à renforcer ces pays autocratiques plutôt que les menacer."

Cette analyse est partagée par Richard Meade, analyste pour la Lloyd's List Intelligence qui rappelle au site Foreign Policy qu'à "chaque fois que de nouvelles sanctions sont imposées, l'industrie du transport maritime trouve des astuces pour y échapper".

"Nous assistons à l'apparition de nouvelles compagnies maritimes comme nous l'avons vu après les sanctions iraniennes, vénézuéliennes et nord-coréennes. À l'époque où les sanctions ont été imposées pour la première fois à l'Iran, les navires éteignaient leur AIS et devenaient sombres, puis réapparaissaient ailleurs", rappelle Richard Meade.

Reste la question des assurances nécessaires pour permettre aux navires marchands de naviguer. Cette flotte fantôme ne peut pas obtenir d'assurance commerciale et aucune entreprise maritime n'assumera individuellement le risque surtout pour le transport des marchandises dangereuses comme le pétrole.

Là encore, une astuce a été trouvée. L'Iran a créé une assurance P&I (shipping property and indemnity) qui a inspiré les Russes, indique Richard Meade. Dès juin, la Compagnie nationale de réassurance russe couvre les tankers russes après l'annulation de la couverture par les assureurs occidentaux.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco