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Commerce, réserves, géopolitique… Vers la fin du roi dollar?

Ces derniers temps, la domination du dollar dans l'économie mondiale est bousculée avec, notamment, de plus en plus de pays qui veulent s'en défaire pour une partie de leur commerce international. Pour autant, le billet vert est encore tout puissant.

Le dollar est-il en train de perdre son hégémonie? Si le billet vert règne depuis longtemps sur la scène économique internationale, de plus en plus de pays veulent s’affranchir de leur dépendance vis-à-vis de la devise américaine. Entre les économies émergentes qui cherchent à se diversifier et la Chine qui œuvre pour internationaliser sa monnaie, de nouvelles stratégies monétaires se dessinent. 

Des pays qui cherchent à s’émanciper 

Une des dernières annonces en ce sens est venue d’Argentine il y a quelques jours seulement: le pays andin veut délaisser le dollar au profit du yuan pour régler une partie de ses importations chinoises. En mars déjà, le Brésil avait averti que ses échanges avec la Chine se passeraient progressivement du dollar.

Autre annonce plus surprenante, en début d’année, le ministre des Finances de l’Arabie Saoudite a avisé que le pays, allié des Américains et plus gros exportateur de pétrole au monde, était disposé à discuter du commerce de ses hydrocarbures dans d’autres monnaies que le billet vert. Et en Asie, l'Inde n'utilise plus le pétrodollar pour ses importations de Russie. De fait, le pays slave est cerné par les sanctions commerciales et financières à la suite de son invasion de l’Ukraine.

À cette liste non-exhaustive se rajoutent des déclarations plus ou moins concrètes comme celle, choc, du président brésilien plus tôt ce mois-ci. Lula da Silva a en effet appelé les BRICS à créer une monnaie alternative pour commercer. 

“Chaque nuit, je me demande pourquoi tous les pays doivent baser leur commerce sur le dollar,” a clamé Lula da Silva, le président brésilien.

Certes, la tendance n’est pas nouvelle. En 2009 par exemple, alors que la crise des subprimes frappait l’économie américaine, les BRICS avaient appelé à réformer le système monétaire international, note une étude de la société de conseil Global Sovereign Advisory (GSA) publiée en avril. Reste que les appels à la "dédollarisation" du monde se multiplient dernièrement.

Le dollar reste bien assis sur son trône 

Pour autant, la "fin du dollar" est encore bien hypothétique. La domination du billet vert est bien établie grâce à son rôle central dans le système financier international, la taille de ses réserves de change et son poids massif dans le commerce mondial. En mars, 42% des paiements internationaux s’effectuaient ainsi en dollar, et 51% si l’on exclut l’Eurozone, d’après les données SWIFT. Quand le yuan compte pour moins de 3%.

Côté réserves, le dollar maintient aussi sa supériorité, bien qu’elle se soit érodée au fil des dernières décennies. Fin 2022, la monnaie américaine comptait pour 58% des réserves de change, contre 71% en 1999.

L'autre force du dollar, c'est la sécurité qu'il véhicule. En temps de crise, il est aussi utilisé comme valeur refuge. Or, "ces crises sont de plus en plus fréquentes: Covid-19 en 2020, guerre en Ukraine en 2022, risque de crise bancaire en 2023", note GSA dans son étude.

Un billet refuge et puissant dont les États-Unis se sont d’ailleurs récemment, et à nouveau, servi comme d’une arme géopolitique pour punir la Russie. C'est d'ailleurs pour cette raison que les annonces d'émancipation se sont multipliées dernièrement: certains pays ne veulent pas être exposés à des sanctions similaires à l’avenir, explique GSA. Une stratégie de diversification, donc, pour atténuer les risques pour son économie.

La Chine cherche à imposer sa monnaie

Et ces pays qui se détournent partiellement du dollar trouvent sur leur route un partenaire de taille: la Chine. Le géant asiatique est depuis des années la deuxième puissance économique mondiale et pourtant sa monnaie, le yuan, n’a qu’une place mineure dans le système international. Forte de sa croissance économique soutenue, la Chine veut désormais y remédier.

Etant donné son poids commercial et ses efforts pour augmenter la part de ses échanges en yuan avec ses partenaires, la monnaie chinoise va certainement prendre de plus en plus de place dans les transactions internationales, explique la société de recherches économiques Capital Economics dans une note.

Pour autant, "un pas important serait que le yuan soit utilisé dans des transactions entre deux pays autres que la Chine", note Sophie Wieviorka, analyste au Crédit Agricole. "Or ce n'est encore jamais arrivé", ajoute-t-elle.

Par ailleurs, au-delà du commerce, c'est le statut de monnaie de réserve qui fait vraiment d'une monnaie un actif international, souligne Sophie Wieviorka. Et sur ce point, le yuan n’a pas les atouts de disponibilité et de liquidité du dollar. Mais c'est le choix de la Chine qui veut "garder le contrôle sur sa monnaie", note l'analyste.

"Pour que sa monnaie nationale devienne une véritable devise internationale, cela demande de renoncer à une partie de sa souveraineté, ce que la Chine ne semble pas prête à faire pour le moment", explique Sophie Wieviorka.

Le dollar peut donc dormir sur ses deux oreilles pour encore quelques longues années. Mais peut-être plus aussi profondément qu'avant. Car de l'autre côté du globe, le dragon qui dort, lui, est en train de se réveiller…

Olivia Bugault