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Aux États-Unis, la gauche multiplie les projets pour taxer les ultra-riches

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- - MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Trois élus démocrates ont fait des propositions pour taxer davantage les plus fortunés. Revenus, patrimoine et héritage, tout y passe. Certains de ces projets ont été inspirés, voire élaborés par des économistes français. D'après eux, l'objectif premier n'est pas d'augmenter les recettes fiscales, mais de lutter contre les inégalités pour sauvegarder la démocratie.

Alors qu'en France le rétablissement de l'ISF fait toujours débat avec le mouvement des gilets jaunes, aux États-Unis aussi la question de l'imposition des riches, ou plutôt des ultra-riches, est en plein sur le devant de la scène en ce début d'année. En moins d'un mois, trois propositions de taxations des ménages les plus riches parmi les plus riches, non pas les 1% mais les 0,2%, ont été mises sur la table. Ces projets viennent tous d'élus démocrates.

Un taux marginal de 70% pour les hauts revenus

Alexandria Ocasio-Cortez, la benjamine de la Chambre des représentants, a ouvert le bal. Dans une interview télévisée début janvier, l'élue de 29 ans a suggéré l'instauration d'un taux marginal d'impôt sur le revenu de 70% au-dessus de 10 millions de dollars. Les recettes dégagées seraient consacrées au financement du "Green New Deal", un plan d'investissement pour sortir des énergies fossiles sur lequel travaillent plusieurs membres de son parti.

À ce stade, l'idée n'a pas été transformée en proposition de loi. Cette taxe concernerait 16.000 Américains et pourrait rapporter 720 milliards de dollars sur dix ans aux finances fédérales, selon les calculs du Washington Post.

Taxer de 2% à 3% l'ensemble des actifs des utlra-riches

La semaine passée, la sénatrice Elizabeth Warren a rendu public sa proposition de loi intitulée "Ultra-Millionaire Tax". Celle que plusieurs médias présentent comme la potentielle adversaire de Donald Trump à la présidentielle de 2020 entend taxer non pas les revenus, mais la fortune, autrement dit le patrimoine total des Américains figurant parmi les 0,1% les plus riches.

Actions, biens immobiliers, œuvres d'art… si l'addition dépasse 50 millions de dollars, les ménages concernés devront s'acquitter d'une taxe de 2% sur cette somme. La ponction passerait à 3% pour les milliardaires. Environ 75.000 foyers seraient concernés, pour des recettes fiscales potentielles de 2750 milliards de dollars sur dix ans.

Une imposition progressive sur les gros héritages

Le dernier en date à avoir présenter son projet est l'ancien adversaire d'Hilary Clinton à la primaire démocrate de 2016: Bernie Sanders. Ce dernier a présenté jeudi sa proposition de loi, intitulée "For the 99,8%" (sous-entendu en faveur de ceux qui ne sont pas parmi les 0,2% les plus riches). Il entend mettre en place une taxation progressive des grosses successions.

Pour l'Américains moyen, la fiscalité ne changera pas. En revanche, ceux dont l'héritage dépasse 3,5 millions de dollars seront imposés à 45% et jusqu'à 77% pour une succession de plus de 1 milliard de dollars. Appliqué sur les successions de près de 600 milliardaires, ce système pourrait rapporter 2200 milliards de dollars, mais sur une période indéfinie puisqu'il est difficile de savoir à quel moment les fortunés en question vont décéder et leurs héritiers être taxés… L'équipe de Bernie Sanders avance le chiffre de 315 milliards de dollars sur dix ans.

Taxer les hauts revenus, une vieille histoire américaine

Outre-Atlantique, ces propositions ont évidemment fait l'objet de critiques. Dans les médias, des éditorialistes économiques estiment qu'elles pourraient décourager l'innovation et l'investissement. Certains avancent même que les recettes fiscales baisseraient car les personnes visées redoubleraient d'efforts pour éviter l'impôt. Pour les républicains, ces mesures sont anticonstitutionnelles et sont un argument supplémentaire pour faire passer les démocrates pour des "extrêmes".

Les Américains, eux, semblent plutôt favorables: 70% approuvent la proposition d'Alexandria Ocasio-Cortez, selon un sondage Fox News, et 61% celle d'Elizabeth Warren, selon NBC. Elles reçoivent également l'approbation d'économistes de renom, comme le prix nobel Paul Krugman et Thomas Piketty. Le Français, qui plaide depuis plusieurs années pour un impôt mondial progressif sur le capital, juge que celle d'Elizabeth Warren est la plus novatrice. Dans un tweet, il compare cette mesure à un "ISF à l'américaine" et rappelle que cette proposition n'est pas une hérésie par rapport à l'histoire américaine.

Le mouvement de baisses d'impôts entamé sous la présidence de Ronald Reagan dans les années 1980 a fait oublier que les États-Unis sont le premier pays à avoir appliqué de forts taux d'imposition. Entre 1930 et 1980, le taux marginal le plus élevé atteignait en moyenne 78%. Il a même dépassé les 90% sous la présidence de Eisenhower dans les années 1950.

Lutter contre les inégalités

Thomas Piketty n'est pas le seul économiste français à soutenir ces propositions. Mieux, d'autres en sont même à l'origine. Gabriel Zucman, connu pour ses travaux sur les paradis fiscaux, et Emmanuel Saez, grand spécialiste des inégalités, tous deux professeurs à l'université américaine de Berkeley, ont participé à l'élaboration du projet d'Elizabeth Warren. Le second avait même réalisé une étude en 2012 avec le prix Nobel Peter Diamond dans laquelle ils préconisaient un taux d'impôt marginal de 73% sur les hauts revenus… ce qui n'est pas sans rappeler le suggestion d'Alexandria Ocasio-Cortez.

Dans une tribune publiée sur le New York Times, Saez et Zucman ont d'ailleurs défendu le projet de la jeune élue démocrate. Selon eux, ces mesures n'ont pas pour objectif de financer de la dépense publique, mais de lutter contre la concentration des richesses et l'accroissement des inégalités. "Tout comme la taxe carbone n'a pas pour but de lever des fonds mais de réduire les émissions de carbone, de hauts taux d'impôt pour des très hauts revenus n'a pas pour objectif de financer le Medicare for All [la protection sociale américaine]", écrivent-ils. De telles mesures seraient même un moyen d'éviter de glisser vers un régime oligarchique.

"La taxation progressive des revenus ne peut pas résoudre toutes les injustices", précisent-ils. "Mais, si l'histoire nous enseigne bien quelque chose, c'est qu'il peut aider à tirer le pays dans la bonne direction, plus proche du Japon et plus éloignée de la Russie de Poutine. Démocratie ou Ploutocratie: c'est, fondamentalement, ce dont il est question."

en allemagne les politiques s'écharpent sur un taux à 45%

Le ministre des Finances allemand, Olaf Scholz, a déclaré dans un hebdomadaire qu'il "trouverai[t] ça juste" si le plus haut taux marginal d'imposition sur le revenu augmentait de 3 points, ce qui le ferait passer à 45%. Il a rappelé au passage que ce taux était de 56% à l'époque d'Helmut Kohl.

Son collègue au gouvernement Peter Altmeier ne voit pas les choses de cet oeil. Le ministre de l’Économie a aussitôt opposé une fin de non-recevoir à cette suggestion. "Tout débat sur l’augmentation des impôts est un poison pour l’économie" a-t-il déclaré jeudi dans le quotidien Bild.

Jean-Christophe Catalon