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Prélèvement à la source: un serpent de mer vieux de 80 ans

Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics.

Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics. - Eric Feferberg - AFP

Alors que la réforme semblait bouclée, l'exécutif doit tenir une réunion déterminante mardi avec le ministre des Comptes publics pour confirmer, ou non, le calendrier de la mise en œuvre du prélèvement à la source. Va-t-on en finir avec ce serpent de mer, qui remonte régulièrement à la surface depuis la Seconde Guerre mondiale?

Confirmée, reportée ou enterrée? Le fin mot de l'histoire sur la mise en place du prélèvement à la source sera bientôt dévoilé. Le ministre en charge de la réforme, Gérald Darmanin, doit rencontrer mardi Emmanuel Macron et Édouard Philippe pour "faire le point", comme l'avait indiqué le Premier ministre dans le JDD. Le président de la République attend des "réponses très précises" de la part de Bercy avant de prendre une décision.

L'exécutif cherche à s'assurer qu'aucun bug informatique n'interviendra, mais s'inquiète aussi d'un risque plus politique: celui du "choc psychologique" du bulletin de paie qui baisse, alors que le gouvernement veut mettre en avant ses mesures sur le pouvoir d'achat.

S'il décidait de revenir sur le calendrier, qui prévoie la mise en œuvre de la réforme en janvier 2019, l'exécutif maintiendrait en vie ce vieux serpent de mer. Car l'idée de prélever l'impôt à la source en France date de la Seconde Guerre mondiale et n'a cessé de remonter à la surface depuis, à en croire un rapport d'information du Sénat de 2016.

Des tentatives à chaque décennie

De nombreux pays développés ont adopté la retenue à la source pendant le conflit de 1939-1945 et la France n'a pas échappé à la règle. Dès janvier 1940, le gouvernement met en place sa propre version baptisée le "stoppage à la source". L'activité économique étant perturbée par la guerre, le gouvernement ne voulait pas "infliger aux contribuables des charges qui ne seraient plus en rapport avec leur situation pécuniaire". Ce dispositif a été supprimé en 1948 par une réforme fiscale.

L'idée revient vite sur la table. Dans les années 1950, plusieurs tentatives ont été portées par René Mayer, successivement ministre des Finances et président du Conseil. Toutes ont été avortées face aux aléas politiques et à l'opposition du patronat et des syndicats.

La décennie suivante, un autre ministre des Finances, Michel Debré, tente à son tour de mettre en place une retenue à la source, mais la crise de mai 68 met fin au projet. Les accords de Grenelle entre les partenaires sociaux et le gouvernement, qui mettent fin au conflit, prévoyaient explicitement qu'"il ne sera[it] pas proposé d'assujettir les salariés au régime de la retenue à la source".

Les mêmes critiques depuis près de 50 ans

Pourtant, dès 1970, le nouveau ministre des Finances Valéry Giscard d'Estaing, relance un fois encore le projet. Contrairement à ses prédécesseurs, il va procéder par étape en proposant, dans une premier temps, une mensualisation du paiement de l'impôt sur le revenu sur la base du volontariat. Présenté dans un second temps, le projet de prélèvement à la source à proprement parlé sera retoqué par le Sénat.

Problèmes de confidentialité portant préjudice à l'employé, charge pour les entreprises -notamment les PME-, choc psychologique... les critiques de l'époque résonnent encore aujourd'hui. La France loupe une nouvelle fois le coche, alors que le Danemark (1970), l'Italie (1973) et l'Espagne (1979) adopteront le prélèvement à la source durant cette décennie.

La réforme prête pour 2009

Et le feuilleton continue. Premier ministre, Michel Rocard relance le débat mais sans le mener au bout. Lionel Jospin pointe le retard de la France en la matière lors de l'élection présidentielle de 2002, mais il est battu par Jacques Chirac. Ce dernier décide finalement de remettre le projet sur les rails.

À la fin du quinquennat en 2007, le ministre des Finances Thierry Breton a travaillé sur un dispositif dont la phase de transition comprendrait une année blanche fiscale. La charge de mettre en place ce dispositif incombait à la majorité suivante. À l'époque, Thierry Breton affirmait que la mise en œuvre du prélèvement à la source au 1er janvier 2009 était "tendue", mais "possible".

À son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy abandonne immédiatement le projet au titre de la charge qu'il représente pour les entreprises. Certains avancent également une décision politique. "Tout était prêt, mais la réforme a fait les frais de la haine de Sarkozy pour Villepin", Premier ministre lorsque Thierry Breton était à Bercy, racontait Jean-François Copé au JDD en avril.

Suite et fin?

Promesse de campagne de François Hollande, le prélèvement à la source n'a été voté qu'à la fin du quinquennat, pour une entrée en application en janvier 2018. Une nouvelle fois tous les risques sont laissés à la nouvelle majorité.

À son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron décide de reporter à nouveau la mesure d'un an, pour s'accorder un "temps de vérification et de réflexion", justifiait Gérald Darmanin à l'époque. Mardi, le chef de l'État va-t-il écrire l'épilogue de cette vieille histoire, ou fera-t-il encore durer ce serpent de mer?

Jean-Christophe Catalon