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Une ciboire contenant des hosties (photo d'illustration).

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Dans ce monastère, les sœurs clarisses fabriquent 3 millions d'hosties chaque année

Les millions d'hosties consommées chaque année dans les églises françaises sont fabriquées par des religieuses.

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Au sud de Reims, à Cormontreuil, le monastère Sainte-Claire abrite une trentaine de religieuses. Des sœurs clarisses, dont le temps est consacré à la prière, à la vie fraternelle et au travail. Chaque année, près de 3 millions d'hosties sortent de leur atelier. Par tradition ancienne, en France, ce sont des religieuses qui fabriquent les hosties, ces minces rondelles de pain azyme avec lesquelles les fidèles communient lors de la messe. Rien que ce dimanche soir, lors de la messe de Noël, les églises auront besoin de dizaines de milliers d'hosties.

"Quand on rentre dans la communauté, on est assez vite envoyée dans l'atelier", le principal emploi des sœurs de Cormontreuil, explique sœur Élisabeth Marie. Du pétrissage à l'expédition, en passant par la coupe et la cuisson, l'ensemble de la production y est réalisé. Des hosties blanches et dorées de quatre diamètres différents sont fabriquées par les clarisses rémoises, qui approvisionnent 200 paroisses, diocèses et dépôts. Si l'on y ajoute la gestion de la maison d'accueil et les objets artisanaux, cela représente un tiers de leurs revenus.

Pour la recette, c'est très simple: de l'eau et de la farine de blé à quantités égales. Conformément aux règles édictées par l'Église, même si l'on parle de pain, il n'y a aucun levain – c'est pour cela qu'il n'existe pas d'hostie sans gluten, puisque c'est lui qui va ici lier la farine et l'eau. Pas non plus d'autres ingrédients, comme du sucre ou du miel, explicitement interdit par le droit canonique. La recette est simple, mais la fabrication est plus complexe qu'elle n'y paraît. Au monastère, toutes les sœurs contribuent à la tâche, en fonction de leurs aptitudes physiques.

Un pétrin de pâte à hosties.
Un pétrin de pâte à hosties. © BFM Business

Le pétrissage "est un poste de travail assez physique", souvent confié aux sœurs les plus jeunes, car il faut soulever des sacs "de 20 à 25 kilos" de farine, précise sœur Élisabeth Marie. Par ailleurs, "cela demande de la pratique" pour arriver "à ressentir la fluidité qu'il faut pour un bon pétrin". Car la température de l'eau et de la farine, le dosage ou la durée de pétrissage varient selon la météo ou la saison. La pâte repose ensuite quelques heures pour les hosties blanches et une nuit entière pour les hosties dorées, qui doivent être plus épaisses.

"Beaucoup de concentration"

Ce mercredi, à Cormontreuil, c'est jour de cuisson. À 9h du matin, sœur Marie-Christine est déjà devant l'imposante machine, qui a coûté 70.000 euros. La pâte est déversée sur trois fers lisses, des gaufriers en quelque sorte, installés sur un plateau tournant. À chaque rotation, la sœur retire la plaque cuite, jette les déchets de cuisson et nettoie les fers. Un travail continu devant un four chauffé à 180 degrés pour les hosties blanches et à 245 degrés pour les hosties dorées. En milieu de matinée, sœur Pascale prend son tour. Les sœurs se relaient toutes les heures.

La cuisson des plaques d'hosties par soeur Marie-Christine.
La cuisson des plaques d'hosties par soeur Marie-Christine. © BFM Business
La coupe des hosties réalisée par sœur Rita-Marie.
La coupe des hosties réalisée par sœur Rita-Marie. © BFM Business

"On essaie toujours d'être deux dans la pièce pour que l'une puisse aider l'autre. C'est un peu notre politique de mise en œuvre de la vie fraternelle", comme le demande la règle des clarisses édictée par Claire d'Assise au XIIIème siècle, souligne sœur Élisabeth Marie. Il est difficile de rester plus longtemps devant le four, notamment pour les religieuses les plus âgées. "Là, c'est l'hiver, la pièce est assez confortable et on est contentes de venir cuire le matin", sourit-elle. En été, lorsque la température grimpe, le travail devient éreintant dans l'atelier.

"Le moindre petit écart, vraiment un tout petit écart, peut faire un défaut à l'hostie" et "ce sont des hosties perdues", explique sœur Rita-Marie.

De l'autre côté de la pièce, sœur Rita-Marie est occupée à la coupe des hosties. Avec une pédale, elle actionne un outil découpant des ronds sur plusieurs dizaines de plaques empilées. "Cela semble très répétitif, mais cela demande plusieurs ajustements" et "beaucoup de concentration", note la cadette du monastère, formée par d'autres sœurs à son entrée au couvent. Après une semaine de séchage, c'est l'heure du tri. Ce matin-là, c'est sœur Marie-Madeleine, doyenne à 90 ans, qui retire à la main toutes les hosties imparfaites. Ensuite, direction l'emballage et la livraison.

Le tri des hosties par soeur Marie-Madeleine.
Le tri des hosties par soeur Marie-Madeleine. © BFM Business

Une vingtaine de monastères français fabriquent aujourd'hui des hosties. Quelques années plus tôt, la nouvelle concurrence d'hosties étrangères à bas prix avait suscité une forte inquiétude dans les abbayes. "Nous avons eu une grosse frayeur en 2010", lorsqu'un importateur a démarché le sanctuaire de Lourdes, se souvient sœur Marie-Samuel, de l'abbaye cistercienne de Blauvac, dans le Vaucluse. Malgré tout, leur clientèle reste fidèle. "On se serre les coudes" entre monastères fabricants "pour éviter l'hémorragie vers l'extérieur", explique-t-elle.

Transition écologique

Aujourd'hui, c'est surtout la forte augmentation des coûts de production qui retient leur attention. Il y a eu une hausse du prix de la farine, et "l'électricité c'est catastrophique", alerte sœur Marie-Samuel. Pour l'électricité, la facture a été multipliée par quatre d'une année à l'autre, les contraignant à faire passer plusieurs petites hausses de leurs prix de vente. Impossible de monter davantage, car "ce n'est pas possible pour les paroisses", dont le budget est restreint. À Cormontreuil, les sœurs clarisses devront aussi augmenter leurs prix au 1er janvier prochain.

Reste que la vraie difficulté est le vieillissement des communautés. Le nombre de fidèles dans les églises a baissé, mais le nombre de religieuses a diminué encore plus rapidement. Six monastères ont cessé de produire des hosties ces dernières années. Au milieu des années 2000, le monastère de Cormontreuil prévoyait deux jours de cuisson par semaine et "maintenant, ça nous demande beaucoup de gymnastique pour pouvoir tenir une journée" par semaine, note sœur Élisabeth Marie. Les sœurs les plus âgées ne peuvent plus accomplir certaines tâches.

Le label "Église verte".
Le label "Église verte". © Église verte

Loin de baisser les bras, les clarisses de la Marne s'attellent désormais à leur transition écologique. Le monastère a récemment obtenu le label "Église verte", certification lancée par les Églises chrétiennes dans la foulée de la COP21. La farine des hosties est dorénavant biologique, les déchets de cuisson sont envoyés dans un méthaniseur et un projet de panneaux photovoltaïques est en train d'être finalisé. Dans la petite boutique artisanale du hall d'accueil, les bougies vendues sont fabriquées à partir de fonds de cierges récupérés dans les églises des environs.

Comme l'illustre sœur Élisabeth Marie, "on ne travaille pas seulement pour faire un bénéfice financier, on travaille pour le sens que le travail peut avoir".

Après le Covid-19, le monastère de Blauvac mise sur la diversification

Dans le Vaucluse, les sœurs cisterciennes de Blauvac fabriquent 20 millions d'hosties chaque année – ce sont notamment elles qui ont approvisionné les hosties pour la messe géante du pape François au stade Vélodrome à Marseille. La crise sanitaire "nous a mis par terre", se rappelle sœur Marie-Samuel. La production d'hosties, les deux tiers de l'activité, tombe de 40%.

"Au deuxième confinement, j'ai vu qu'on allait dans le mur" et qu'il ne fallait plus "qu'on ait tous les œufs dans le même panier", explique-t-elle. Les sœurs de Blauvac répondent à un appel des religieuses du carmel de Verdun, connues pour la fabrication de couettes. Après un reportage à la télévision, elles croulent sous les commandes et veulent transmettre une partie de leur production.

Les sœurs de Notre-Dame de Bon Secours ont désormais repris l'activité de confection d'oreillers. Environ 500 oreillers ont été fabriqués en 2022 et ce sera autant pour l'année presque terminée. Elles vendent aussi des sachets de thé et, depuis la fin du printemps, quelques produits cosmétiques. "C'est une vraie diversification qui est la bienvenue", note sœur Marie-Samuel.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV