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Vendre à perte les carburants fera-t-il baisser les prix?

Le gouvernement évoque "un demi euro potentiellement en moins par litre". L'autre question est de savoir si une telle mesure ne provoquera pas des effets pervers.

La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé que les distributeurs allaient être autorisés à vendre des carburants "à perte" pendant quelques mois, afin de "baisser davantage" des prix qui atteignent à nouveau des plus hauts.

Reste à savoir si ce dispositif (qui n'est pas une obligation mais une autorisation) est réellement efficace en termes de prix et s'il ne génère pas des effets pervers.

Des stratégies agressives, temporaires et locales?

Il faut rappeler que le secteur (la grande distribution qui concentre 60% des ventes) fait généralement de l'essence et du gazole un produit d'appel, ne prenant sur leur distribution que de faibles marges autour de 1 à 3% par litre.

Dans le même temps, de nombreux distributeurs ont procédé ces derniers mois à des opérations de vente de carburant à prix coûtant et renouvellent régulièrement ces opérations. Dans ce contexte, le prix coûtant ne fait baisser que faiblement le prix facturé au client en bout de chaîne.

La possibilité de vendre à perte permettrait donc d'amplifier cette baisse même si les marges de manoeuvre sont limitées étant donné que l’essentiel du prix est constitué de taxes.

En 2012, rappelle l'AFP, Emmanuel Combe qui était alors vice-président de l'Autorité française de la concurrence expliquait qu'il était tout à fait possible d'imaginer "des stratégies de baisses de prix agressives, temporaires et locales de la part de certains distributeurs", ce qui pourrait avoir de vraies conséquences sur le prix facturé au client.

Une perspective aujourd'hui partagée par le gouvernement. Ce dimanche sur RTL, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement souligne: "On parle quasiment d’un demi euro potentiellement en moins par litre", a expliqué le porte-parole du gouvernement. 

"On ne dit pas que l'essence va tomber à 1,40 euro dans toutes les stations pendant 6 mois. On dit qu'il peut y avoir des opérations commerciales qui peuvent être conduites".

Une perspective contestée par le cabinet Asterès dans une note ce dimanche. "Même s’ils vendaient légèrement à perte, le gain ne serait au mieux que de quelques centimes par litre" peut-on lire.

La filière attend en tout cas de pied ferme les précisions de l'exécutif. Le cabinet de la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme Olivia Grégoire a indiqué à l'AFP que ces précisions devraient être apportées très prochainement.

Baisse en "trompe l'oeil"

Il faudra également vérifier qu'une telle mesure n'introduise pas d'effets pervers. Emmanuel Combe expliquait ainsi sur le site Atlantico que la revente à perte pouvait n'être qu'une baisse "en trompe l'oeil" dans la mesure où le commerçant qui réduirait ses marges sur tel ou tel produit pourrait les augmenter sur d'autres pour compenser. Le bénéfice de l'opération pour le consommateur serait ainsi annulé.

"La revente à perte ne bénéficie pas forcément aux consommateurs, car, bien souvent, la réduction des marges sur la vente d’un produit s’accompagne d’une majoration abusive des prix d’autres produits" confirme auprès du Parisien le cabinet Vogel&Vogel, spécialisé en droit économique.

"Il est possible que les grandes surfaces, bénéficiant de la clientèle captive qu’elles auraient ainsi attirée, en profitent pour augmenter leurs prix en rayon de manière à compenser la perte réalisée sur la vente de carburants. Cette stratégie peut être rendue possible par le fait que les prix d’une multitude de produits en rayons sont moins facilement comparables pour le consommateur que les prix à la pompe. Il n’en résulterait donc pas nécessairement de gain de pouvoir d’achat totaux pour le consommateur" confirme le cabinet Asteres dans une note publiée ce dimanche.

Il faut savoir que bien souvent, les automobilistes qui font le plein chez un distributeur qui pratique un rabais ou des prix coûtant en profitent pour également faire le plein de courses.

Olivier Chicheportiche avec AFP