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Pourquoi l'hécatombe dans le commerce de l'habillement n'est pas près de s'arrêter

Quatre ans après le Covid, le nombre de défaillances d'entreprises dans le commerce de l'habillement continue de progresser. La concurrence de Vinted, Primark et Shein ne cesse de s'amplifier et mettre au tapis des enseignes fragilisées.

La société Naf Naf est peut-être sauvée. Cette semaine, trois offres de reprises ont été reçues par la marque lourdement endettée et qui emploie toujours près de 700 salariés en France. Un léger "ouf" de soulagement qui intervient quelques jours à peine après la reprise partielle de l'enseigne de lingerie Maison Lejaby, placée en redressement judiciaire en janvier dernier.

Ces deux offres de reprise ne masquent cependant pas les difficultés d'un secteur en crise profonde. Depuis deux ans, c'est un nombre incalculable de grandes marques d'habillement qui sont allées au tapis. De Jennyfer à Camaïeu en passant par Pimkie, Gap France, André ou encore San Marina.

Une hécatombe qui s'est malheureusement poursuivie en 2024 alors que nous sommes désormais quatre ans après le Covid. Depuis le début de l'année, les défaillances ont concerné la marque de chaussures Minelli mais aussi IKKS, Burton of London ou encore la maison mère de Sergent Major et Du pareil au même placée en mars dernier en redressement judiciaire. Dernière victime en date, la marque Esprit a déposé le bilan mercredi. Que ce soit dans le prêt-à-porter pour femmes, la mode masculine, l'enfant ou le chaussant, aucun secteur ne semble épargné.

37.000 emplois détruits en 10 ans

Et on parle là de grandes marques connues qui font l'actualité. Mais c'est l'ensemble du commerce de détail de l'habillement qui est à l'agonie dans l'Hexagone. Selon le cabinet Altares, ce sont 1.130 défaillances qui ont été enregistrées en 2023, soit un bond de 51% en un an. Au total, ce sont 4.000 emplois qui ont disparu dans ce type de commerces et 37.000 sur une décennie.

Le début de l'année actuelle étant encore pire. Toujours selon Altares, les défaillances ont concerné 372 entreprises du secteur au premier trimestre 2024, un nombre 12% plus élevé que sur la même période il y a un an. À ce rythme-là, les 1.500 défaillances annuelles pourraient être atteintes.

Qui vend le plus de vêtements en France?
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Une crise sans précédent donc, que les seuls chiffres du marché peinent à expliquer. Selon l'Institut français de la mode, le chiffre d'affaires du textile a certes reculé en 2023 mais de seulement 1,3%, à 26,7 milliards d'euros. Un niveau inférieur à l'avant-Covid (28,4 milliards d'euros en 2019) mais qui n'explique pas à lui seul qu'autant d'enseignes soient en péril. D'autant que le recul concerne principalement les ventes de textile dans les grandes surfaces (-7,7% en 2023).

Mais les grandes enseignes de moyenne gamme étaient si fragiles que le Covid d'abord et l'inflation ensuite les ont littéralement asphyxiées. C'est à partir de 2015 que les premiers signes de fragilités ont commencé à apparaître. Lancés dans une course au m² durant la décennie précédente, les groupes textiles qui se sont lourdement endettés pour se développer mettent un frein à leur expansion. De premières faillites retentissantes inquiètent le secteur comme celles de Vivarte ou Pimkie.

Paradoxalement, le Covid va marquer un léger coup d'arrêt à cette crise naissante. Entre 2020 et 2021, le nombre de défaillances recule sensiblement tombant même à 92 au troisième trimestre 2021. Mais loin d'être synonymes de bonne santé, ces chiffres traduisent le maintien en vie artificiel de tout le secteur grâce aux prêts garantis par l’Etat (PGE).

Les graines empoisonnées du Covid

Car la pandémie va planter plusieurs graines qui vont s'avérer mortifères pour le secteur. D'abord celle de la seconde main. En confinement, les Français ont vidé leurs placards et se sont massivement tournés vers des sites comme Vinted, Vestiaire Collective ou Le Bon Coin. Pour vendre d'abord et pour acheter ensuite. Sur la seule année 2020, le leader Vinted va gagner un million de membres. Ce sont désormais trois millions de Français qui s'y connectent chaque jour, soit potentiellement autant de clients en moins pour les enseignes en dur.

La deuxième graine maligne plantée par le Covid est celle de l'inflation. La hausse des prix de l'énergie et de nombreuses matières premières qui suivront la période des confinements vont d'une part fortement rogner la trésorerie d'enseignes déjà fragiles et d'autre part pousser les consommateurs à arbitrer dans leurs dépenses et se tourner vers les produits à très bas prix. C'est alors le triomphe de Primark dans les centres commerciaux avec six nouveaux stores inaugurés en 2023 pour un investissement de 83 millions d'euros. Avec seulement 27 points de vente, la marque irlandaise est déjà le huitième plus gros vendeur de vêtements en France.

Mais c'est aussi le chinois Shein, avec son modèle d'ultra-fast fashion, qui séduit un jeune public avec ses 8.000 nouveaux produits mis en ligne… chaque jour. Ce sont désormais 2,7 millions d'internautes qui ouvrent quotidiennement l'application pour dépenser quelques euros pour s'offrir un t-shirt ou un pantalon.

Le coup de grâce de cet engrenage délétère, c'est évidemment le remboursement des PGE. Maintenues en vie par ces prêts d'État, les "entreprises zombies" du secteur textile ont dû les rembourser au moment même où les factures d'électricité explosaient, de même que les coûts de transport.

En moins de 36 mois, c'est un pan entier de l'économie qui s'est donc effondré. Hormis quelques enseignes solidement installées comme Kiabi, le tsunami a emporté les plus faibles et fragiles. Et elles étaient très nombreuses.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco