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Inflation: les Français se sont-ils définitivement détournés des grandes marques au profit des MDD?

Si la France reste un petit pays pour les marques de distributeurs, la période d'inflation actuelle a peut-être changé la donne pour une longue période. Les MDD convainquent de plus en plus des consommateurs soucieux de faire des économies et les distributeurs comptent bien en profiter.

C'est un marché à plus de 40 milliards d'euros qui ne cesse de grossir. Un énorme gâteau que se partagent une poignée de grands distributeurs qui proposent depuis des décennies des produits à marques propres dites MDD qui viennent concurrencer les grandes marques internationales des rayons.

Marque Repère de E.Leclerc, Carrefour Essential, les Produits U ou les puissants labels d'Intermarché qui en a fait sa raison d'être en se séparant de E.Lerclerc dans les années 1970 (Pâturages, Chabrior, Monique Ranou...)... Les Français ont des MDD plein les placards et le frigo. Et particulièrement depuis que les prix en grande distribution grimpent aussi vite qu'une chandelle dans un match de rugby.

Même si leurs prix ont augmenté proportionnellement plus vite que ceux des marques, les MDD restent plus abordables pour des consommateurs de plus en plus contraints. Depuis deux ans, leurs poids dans le total des ventes des produits de grande consommation a fait un bon de plus de 2 points selon les données NielsenIQ. Du jamais vu sur une si courte période.

"Lorsqu'il y a des guerres de prix ça profite aux marques, lorsqu'il y a de l'inflation ce sont les MDD qui gagnent, résume Daniel Ducrocq, vice président Europe du service distribution de NielsenIQ. Du fait des consommateurs mais aussi des distributeurs qui diminuent leurs assortiments de 2-3% en enlevant des références pour faire des économies. Ça se fait au détriment des marques qui voient leur poids baisser mécaniquement."

Dans un contexte douloureux pour le pouvoir d'achat et avec des distributeurs qui les mettent plus que jamais en avant, les MDD ne pouvaient que crever le plafond et continuer à battre des records. Sur les 300 catégories de produits vendus en grandes surface, 70% d'entre elles ont vu les marques de distributeurs progresser depuis un an.

La France en retard sur les MDD

Pourtant la France est un petit pays de MDD. Les Français mettent en général dans leur chariot moins d'un tiers des produits en MDD. Quand en Belgique c'est 40%, près de 42% en Allemagne, autours de 45% en Espagne et au Royaume-Uni et plus de 50% en Suisse. Seuls les Italiens achètent moins de MDD que nous. La moyenne en Europe étant de 40%.

"On reste un pays dans lequel les marques sont fortes et désirables, estime Frank Rosenthal, spécialiste de la consommation. La France est le pays de l'hypermarché, du large choix... Les plus vulnérables reculent mais les Coca, les Nutella tiennent bien. Quand des marques sont ultra-légitimes, on ne peut pas les déréférencer."

Des exceptions qui ne font pas la règle. Car dans l'ensemble, le poids des marques tend à s'alléger dans nos chariots depuis quelques mois. Les consommateurs sabrent dans ces dépenses pour faire des économies quand ils ne sont pas directement refroidis par les pratiques de "shrinkflation" de certains qui réduisent discrètement les portions tout en augmentant les prix. D'autant que désormais certains distributeurs affichent ces marques au sein même des magasins. Comme Intermarché avec Findus.

"Nous on l'a fait sur une marque de pomme de terre rissolées, on a écrit +68% au kilo, rappelait Thierry Cotillard, le patron des Mousquetaires sur BFM Business. Je pense que la marque elle prend très cher, quand c'est aussi violent, que c'est relayé, publicisé..."

Les MDD aussi bien notées que les marques

Pour autant, l'inflation ne sera pas éternelle en grande distribution. Selon Circana, les prix ont commencé à refluer et l'ouverture de nouvelles négociations devrait accélérer le mouvement de baisse. De quoi redonner du lustre aux marques?

"Nous pensons que le gain des MDD va se poursuivre, explique Emily Mayer, directrice des études chez Circana. Nous l'avions constaté entre 2009 et 2013 où même pendant la guerre des prix, alors qu'il n'y avait plus d'inflation, les MDD sont restées fortes."

Il y aurait donc un phénomène d'inertie de la part des consommateurs qui ne se précipiteront pas du jour au lendemain sur les marques délaissées. Car cette période inédite d'inflation aura été une vitrine inespérée pour les produits des distributeurs. De nombreux consommateurs qui n'en avaient jamais achetés s'y sont convertis.

"Il faut raisonner par produit car c'est comme ça que fait le consommateur, explique Frank Rosenthal. Il se dit "le jambon MDD est bien, le jus d'orange moyen". Il y a des expériences nouvelles sur des produits qui se font. Si l'expérience est bonne, il va continuer."

Ce qui est probable pour une quantité importante de produits. D'abord parce que les MDD sont fabriquées en partie par les grandes marques et à 80% par des PME françaises avec des cahiers des charges précis. Ensuite, par les indices de satisfaction pour ces produits sont très élevés.

Circana a interrogé les consommateurs en décembre dernier et leur a demandé de noter des produits de marque et leurs équivalents en MDD. Si les premiers prix sont déclassés avec une note moyenne de 5,8/10, les produits des distributeurs classiques font quasiment jeu égal avec ceux des grandes marques. Les premiers obtiennent la note de 7,6/10 contre 7,7/10 pour les seconds.

A cet attrait des consommateurs, il faut ajouter la détermination des distributeurs historiques comme Carrefour, Leclerc ou Système U à pousser leurs MDD dans les années à venir. Car si les MDD pèsent plus de 34% dans la consommation globale en France, dans les seuls circuits d'hypermarchés et de supermarchés (en excluant les spécialistes de la MDD comme Lidl ou Aldi) elles représentent 27,6% en 2023 selon Circana. Elles sont bondi de 2,5 points en deux ans et les enseignes ne comptent pas s'arrêter là.

Dans son grand plan 2026, Carrefour veut ainsi augmenter le nombre de références en MDD et cela se fera au détriment des produits de grandes marques. De 33% aujourd'hui, le groupe d'Alexandre Bompard ambitionne de grimper à 40% de MDD dans les trois prochaines années. Pour cela, le groupe promet des contrats pluriannuels aux PME et de gros volumes de production pour les convaincre de travailler pour lui.

"Carrefour veut en faire un outil de différenciation à la Décathlon ou Picard, analyse Emily Mayer. Il y a un gros potentiel de la part des distributeurs dans ce sens."

En choisissant la rentabilité au détriment des volumes, les grandes marques ont peut-être mangé leur pain blanc.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco