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Comment le groupe Shein, dans le viseur de la proposition de loi anti-fast fashion, a bâti son succès

Alors que la proposition de loi anti-fast fashion va être examinée par l'Assemblée ce jeudi 14 mars, retour sur le succès du Chinois Shein, symbole à lui seul de ce modèle économique décrié.

Examinée ce jeudi 14 mars par l'hémicycle, la proposition de loi visant à lutter contre la fast fashion pourra-t-elle faire vaciller les enseignes qui l'incarnent? C'est en tout cas l'ambition de son rapporteur de loi, le député LR Antoine Vermorel-Marques, qui entend appliquer des bonus ou des malus aux vendeurs en fonction de leur impact environnemental.

L'objectif est "de baisser le prix de votre vêtement" s'il est "fabriqué en France, en Europe" ou "vendu dans un commerce de proximité" et, au contraire, d'appliquer un "malus" si "vous achetez sur une plateforme qui ne respecte pas nos normes sociales et environnementales", avait expliqué l'élu auprès de BFMTV en février.

Dans le viseur de ce texte, les plateformes de vente en ligne de l'"ultra fast fashion" qui mettent "plus de 1.000 nouveaux produits par jour". Un modèle économique incarné par Shein, une enseigne chinoise dont les produits déferlent sur le marché mondial depuis plusieurs années. Malgré les critiques dont il fait régulièrement l'objet, comment le groupe a-t-il conquis les dressings occidentaux?

Des prix imbattables

Pour comprendre le succès de Shein, il suffit de scroller quelques secondes sur son site. Le e-commerçant y affiche des prix tout simplement imbattables: comptez 7 euros à peine pour une blouse, 5 euros pour un T-shirt, 10 euros pour une combinaison en jean ou encore 20 euros pour un jean.

Des prix agressifs qui lui confèrent un avantage compétitif de taille sur un "marché plaisir" où les tendances mode et les envies dictent les règles au fil des saisons.

Les clients "ont l'impression de pouvoir acheter" plein de vêtements, résumait Yann Rivoallan, président de la Fédération du prêt-à-porter, sur BFMTV, le 13 février.

Une "catastrophe financière pour eux" car "on les incite à surconsommer" et "ils en achètent encore plus", dénonçait-il encore.

Sous-traitance et économies d'échelle

En parallèle, le groupe, initialement spécialisé dans les robes de mariée, limite ses charges avec un modèle de pure player et une production au coût inversement proportionnel à son impact environnemental. En effet, Shein ne s'embarrasse pas d'usines. Elle sous-traite, à moindre coût, la fabrication de vêtements auprès d'usines chinoises, principalement. Le tout en minimisant les invendus puisqu'elle se cale sur la demande pour lancer ses commandes.

Un fonctionnement, à rebours des propositions traditionnelles des entreprises de prêt-à-porter, avancé comme le principal axe de défense du groupe.

"Nous, nous ne fonctionnons pas sur un système de collection. Pour chaque 'item' qu'on souhaite lancer, on produit entre 100 et 200 exemplaires pour le monde entier, sachant qu'on livre dans 150 pays, c'est très peu", se défendait ainsi la directrice de la communication de Shein France Marion Bouchut, sur Europe 1, le 13 février.

8.000 nouvelles références par jour

Malgré cela, ce sont 8.000 nouvelles références qui sont proposées sur le site de Shein chaque jour, rappelait le quotidien Les Echos en juin 2023. Des volumes titanesques qui permettent aussi au retailer de réaliser des économies d'échelle significatives.

La stratégie marketing a également été conçue à moindre coût en passant principalement par le biais d'influenceurs sur le réseau social TikTok. Une publicité low cost mais efficace notamment pour séduire son cœur de cible: les jeunes de moins de 25 ans.

Redoutable, la recette est pourtant décriée pour ses conséquences environnementales. Selon une étude publiée par le Teenage Lab de Pixpay, les vêtements achetés sur le site de Shein représenteraient à eux seuls 12% des émissions de CO2 des adolescents français*. Une analyse menée par Greenpeace sur 47 pièces Shein, publiée en avril 2022, a mis en évidence la présence de produits chimiques dangereux dans 32% d'entre elles.

Mais la recette continue à faire mouche. À 22,7 milliards de dollars en 2022, le chiffre d'affaires de Shein est estimé à 31,8 milliards de dollars pour 2023.

Un succès impulsé par le Covid qui se poursuit au fil des années au moment où le secteur du textile décline. En témoignent les faillites et les procédures de redressement judiciaire à répétition observées ces derniers mois.

Marion Bouchut, porte-parole de Shein en France - 29/02
Marion Bouchut, porte-parole de Shein en France - 29/02
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Un modèle qui "fait du mal" au secteur

Avec son système de "malus", la proposition de loi vise aussi justement à réguler le marché du textile en limitant les conséquences de la concurrence ultra agressive de la fast fashion.

Une concurrence qui fait "plus que mal", soulignait Yann Rivoallan sur le plateau de BFMTV, évoquant "plus de 10.000 emplois détruits dans une année" et "des sociétés célèbres en France comme Naf Naf, Kookaï ou Camaïeu qui ont été détruites".

Si l'association Zero Waste France salue cette proposition de loi, elle estime que le texte ne va pas assez loin. "C'est un tout petit bout de la lorgnette. Ce qu'on espère, c'est que c'est un début de discussion, on en a besoin et c'est urgent. On peut tout à fait imaginer des mesures d'interdiction", nous confiait Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de l'organisation le mois dernier.

*Cette étude a été réalisée auprès de 100.000 utilisateurs adolescents entre le 22 avril 2021 et le 10 avril 2022.

Nina Le Clerre