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125 ans d'histoire: Casino, la doyenne des marques de la distribution française, est sur le point de disparaître

Alors qu'Intermarché, Auchan et peut-être Carrefour s'apprêtent à se partager ce qu'il reste du distributeur, retour sur l'histoire d'une marque créée en 1898 à Saint-Étienne qui a fondé les bases de la distribution moderne.

Une page longue de 125 ans est sur le point de se tourner. Alors qu'Auchan et Intermarché s'apprêtent à se partager la dépouille de l'ex-géant de la grande distribution française, c'est la marque Casino qui est sur le point de totalement disparaître.

Après l'annonce du rachat à venir des 313 supermarchés et hypermarchés encore dans le giron de Casino, la marque n'ornera plus que les devantures des magasins de proximité comme Casino Shop ou Petit Casino. Mais même eux pourraient tomber dans l'escarcelle d'un repreneur (Auchan, Intermarché mais aussi Carrefour sont sur les rangs).

Morning Retail : La transformation des Casino en Intermarché, c'est aujourd'hui ! - 16/10
Morning Retail : La transformation des Casino en Intermarché, c'est aujourd'hui ! - 16/10
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Une start-up du commerce… au XIXe siècle!

Ce n'est peut-être plus qu'une question de mois avant que la plus ancienne marque du commerce alimentaire en France disparaisse du paysage. La plupart des grandes enseignes du secteur comme E.Leclerc, Carrefour ou Intermarché sont des créations de l'après-guerre, émanation de la société de consommation naissante. Deux groupes sont largement antérieurs: il s'agit de Système U (dont les origines remontent à 1894) et Casino (fondé en 1898). Mais le premier ne prendra la dénomination U qu'en 1975 (auparavant Le Pain Quotidien et Unico) quand le second utilise la dénomination "Casino" depuis ses origines.

Une succursale d'alimentation Casino en 1900, lancée par Geoffroy Guichard.
Une succursale d'alimentation Casino en 1900, lancée par Geoffroy Guichard. © Groupe Casino

C'est à Saint-Étienne à la fin du XIXe siècle qu'un certain Geoffroy Guichard, issu d'une famille d'épicier, s'allie à son cousin par alliance Paul Perrachon pour reprendre un commerce alimentaire rue des Jardins (aujourd'hui rue Michel Rondet). Une épicerie qui se situe au rez-de-chaussée d'une ancienne salle de spectacle transformée en commerce: le Casino lyrique de Saint-Étienne.

Geoffroy Guichard développe le concept en magasin d'alimentation générale sur le modèle des Félix Potin qui rencontrent un très grand succès à Paris avec leurs étals de boîtes de conserve, de bocaux de légumes et de savons. Après l'ouverture d'une succursale à Veauche, à une vingtaine de kilomètres de Saint-Étienne, la Société des magasins du Casino et établissements économiques d’alimentation est officiellement créée le 2 août 1898.

Le succès est foudroyant. Les débuts de Casino sont l'histoire d'une start-up du commerce à l'orée du XXe siècle. En à peine un an, le groupe ouvre 40 succursales et lance la production de ses propres denrées dans des usines stéphanoises. Pain, huile, chocolat, café, liqueur… Le tout vendu dès 1901 sous la marque Casino. C'est l'invention de la marque de distributeur connue aujourd'hui sous l'acronyme MDD.

Pourquoi "Casino" a perduré

En 1925, Geoffroy Guichard prend seul le contrôle du groupe en rachetant les parts de ses associés. Lorsqu'il cède son fleuron quatre ans plus tard à ses enfants, Casino est un empire du commerce avec ses 1.000 succursales et ses 500 concessions, principalement située dans la moitié sud du pays.

Alors que le cimetière des enseignes disparues est bien garni (on ne compte plus les Félix Potin, Mammouth, Codec, Montlaur, Prisunic, Continent, Champion, Le Mutant tombées dans les oubliettes dans l'Histoire), la marque Casino traverse, elle, les époques. D'abord parce qu'elle reste dans le giron familial Guichard jusqu'à l'arrivée de Jean-Charles Naouri en 1992. Ensuite, parce que les successeurs du fondateur veulent faire mentir l'adage selon lequel la première génération crée l'entreprise, la seconde la développe et la troisième la ruine.

Ainsi en 1947, Pierre Guichard, le fils de Geoffroy, s'envole pour les États-Unis à la tête d'une petite équipe pour un voyage d'étude. La consommation de masse a déjà pris son envol de l'autre côté de l'Atlantique et les dirigeants de Casino rapportent en Europe deux idées qui donneront naissance au supermarché moderne: le libre-service (auparavant des vendeurs servaient les clients) et les meubles réfrigérés.

Quelques mois plus tard, le 27 octobre 1948, la première succursale en libre-service est ouverte à Saint-Étienne. Un an avant le Leclerc de Landerneau et onze avant la fondation de Carrefour à Annecy, la France découvre le supermarché. Avec l'arrivée des rayons frais dans les années 50, Casino invente aussi la date limite de conservation en 1959.

Mais la concurrence s'aiguise dans le secteur et Casino veut garder un coup d'avance en multipliant les formats de magasins. Les supermarchés deviennent de plus en plus grands, comme ceux de Nice en 1957 ou Grenoble en 1960, proposent des rayons de produits non-alimentaires et des chariots pour faciliter la circulation.

La rivalité avec Carrefour

Carrefour a tapé un grand coup en 1963 avec l'ouverture du premier hypermarché de France (plus de 2.500 m²), alors Casino se lance dans la course au gigantisme en inaugurant le 25 mars 1970 le premier Géant Casino à Marseille. Une galerie marchande d'une quarantaine de commerces, 16.000 m² de surface commerciale, une cafétéria et un parking de 400 places. Le magasin devient un loisir et Casino est (encore) précurseur.

Au tournant des années 90, c'est l'heure des concentrations et des rachats dans le secteur. Carrefour fait ses emplettes au sein de groupes régionaux en difficulté (Montlaur, Euromarché…), Casino jette, lui, son dévolu en 1992 sur le distributeur breton Rallye sauvé quelques mois plus tôt par le financier Jean-Charles Naouri. Ce dernier met dans le panier de la mariée toutes ses activités de distribution en échange de 29% des parts de Casino.

"En faisant alliance avec Jean-Charles Naouri, Antoine Guichard aurait-­il donc fait entrer le loup dans la bergerie?", s'interrogeaient à l'époque Les Échos à l'annonce du rapprochement.

Un article prémonitoire qui traduit dès l'acte de baptême le scepticisme du secteur sur la capacité de l'énarque Naouri, reçu premier à NormaleSup, à se changer en épicier.

"Pour la place, Jean-Charles Naouri ne semble pas être le dauphin d'Antoine Guichard, rôle que certains lui prêtent déjà, se hasarde l'article. Si tel était cependant le cas, il lui faudrait alors prouver qu'il peut troquer son costume de financier contre celui de commerçant."

C'est bel et bien lui qui prendra pourtant seul le contrôle du groupe stéphanois en 1998 à la suite d'une OPA hostile avortée du groupe Promodès. La marque Casino perdurera mais le groupe sera désormais davantage associé aux montages financiers complexes qu'à un commerçant précurseur et innovant. En perdant son ADN, Casino aura fini par perdre sa marque et bien plus encore.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco