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Culture

Préférence système, la BD qui dénonce l’obsolescence programmée de la culture à l’ère du numérique

Préférence système d'Ugo Bienvenu

Préférence système d'Ugo Bienvenu - Denoël Graphic

Ugo Bienvenu imagine dans sa BD Préférence Système un futur où l’art est effacé des bases de données pour laisser place à des produits aseptisés. Un futur qui a déjà commencé, selon l’auteur.

C’est le choc de la rentrée littéraire, un récit de SF visionnaire qui décrypte avec acuité les travers de notre société et offre quelques pistes pour s’en sortir. Avec Préférence système, l’auteur de BD Ugo Bienvenu dénonce l’obsolescence programmée de la culture à l’ère du numérique et des plateformes de contenus comme Netflix, YouTube ou encore Amazon. 

Située dans un futur proche, en 2055, cette BD sortie le 3 octobre imagine une société où toute œuvre oubliée ou en passe de l’être doit être supprimée, peu importe son importance. Un homme, Yves, archiviste du Bureau des Essentiels, décide malgré tout de s’opposer au système et de sauver ces chefs d’œuvre de la destruction en les stockant dans la mémoire de son robot domestique, Mikki. 

Ce futur terrifiant où domine le transhumanisme et le big data n’est pas uniquement de la SF. Il est déjà en train de se produire, assure Ugo Bienvenu: "Netflix, Amazon et YouTube occupent beaucoup plus de place que d’autres œuvres qui sont désormais moins vues et moins connues des nouvelles générations et pas forcément transmises, ou transmises d’une façon différente." 

Préférence système
Préférence système © Denoël Graphic

2001: l’odyssée de l’espace occupe une place importante dans Préférence système. Malgré son importance, le classique de Kubrick doit disparaître. Une situation plausible, commente Ugo Bienvenu: "Kubrick est assez peu vu aujourd’hui, à part par une certaine caste de gens. Et ce n’est pas sur Netflix. "Cette disparition progressive des œuvres artistiques est aussi une manière d’exercer un contrôle sur une société désormais simplifiée, transparente, sans problème. 

"Le présent va beaucoup trop vite"

La question posée par Ugo Bienvenu est la suivante: comment peut-on se construire dans un monde où l’histoire disparaît? En quoi peut-on croire? "Depuis toujours, l’humanité fait un tri. Le tri s’est aujourd’hui accéléré et il ne laisse plus de temps aux choses de résister et de s’ancrer. Il y a trop de productions", souligne Ugo Bienvenu. "Ce en quoi les gens décident de croire aujourd’hui, c’est la donnée, car elle est incontestable. Sauf qu’on voit bien qu’elle n’est pas une vérité en soi."

Dans le futur imaginé par l’auteur, une seule société, Playmobil, est responsable de l’ensemble des produits culturels: "Tout le monde a joué au Playmobil quand il était enfant. 'Playmobil en avant les histoires', disait la publicité. Je pense qu’à terme il n’y aura plus qu’une grosse boîte de production qui s’occupera de tous les contenus, avec des nouveautés tous les jours."

Préférence système d'Ugo Bienvenu
Préférence système d'Ugo Bienvenu © Denoël Graphic

Le dessinateur a tant observé notre monde que ses rêves les plus fous se sont réalisés: un film Playmobil est sorti en août dernier et Disney détient désormais la 20th Century Fox, Marvel, Pixar et Lucasfilm - en attendant sa plateforme de streaming lancée en novembre. "Disney a de grosses chances de remporter la bataille. Le studio a les plus beaux catalogues. S’il a bien coulé par le fond Star Wars, il a très bien réussi avec Marvel."

Si Ugo Bienvenu y voit une forme de chance, de hasard, il se montre aussi fort qu’un Enki Bilal pour anticiper les grands événements de notre temps: "Faire un livre comme Préférence système prend deux ans. Quand j’ai fait Paiement accepté [son précédent album, sorti en mai 2017, NDLR]: j’ai choisi Donald Trump alors qu’il n’était pas encore candidat à la présidentielle! Le présent a rattrapé ce que j’avais imaginé. Il y a beaucoup de sujets évoqués dans Préférence système qui n’existaient pas encore quand j’ai commencé l’album, ou dont j’ignorais l’existence. Le présent va beaucoup trop vite."

"Chacun homme dans sa vie assiste à la fin d’un monde"

Tournant le dos aux thèses déclinistes, Ugo Bienvenu propose une fin heureuse: "L’idée est de faire un futur où on redonne à l’humanité un accès à soi. Aujourd’hui, le temps est vidé de sa substance." Voire parasité: "Dès que l’on cesse de travailler, on continue de ‘travailler’ de manière divertissante en fournissant nos données à des algorithmes”, souligne le dessinateur. 

Préférence système d'Ugo Bienvenu
Préférence système d'Ugo Bienvenu © Denoël Graphic

Alors que la culture, l’histoire disparaissent dans les données, la transmission est plus importante que jamais. "Chaque homme dans sa vie assiste à la fin d’un monde", fait dire l’auteur à un de ses personnages. "La mort de quelqu’un, c’est la disparition instantanée d’un disque dur incroyable. Je commence la BD par ce premier effacement total, avec la mort du père, puis le récit avance au fil d’une série d’effacements physiques, psychiques..." 

Après son père, Yves perd sa maison, sa place dans la société et enfin sa vie. Prend alors le relais sa fille, élevée par le robot Mikki, qui détient l’ensemble du savoir et de la beauté des siècles passés. Un nouveau monde peut commencer avec cette nouvelle Ève. Comme dans La Légèreté de Catherine Meurisse, c’est grâce à l’Art que le monde peut survivre à l’apocalypse. 

Préférence système d'Ugo Bienvenu
Préférence système d'Ugo Bienvenu © Denoël Graphic

Préférence système, Ugo Bievenu, Denoël Graphic, 168 pages, 23 euros.

Jérôme Lachasse